Je reproduis ici un texte publié aujourd’hui par l’Agence de Presse RIA Novosti (russe). Je vous souhaite une excellente lecture.
Valentin Pavlov, premier ministre de l’URSS et père de la confiscation monétaire de 1991, a quitté son poste quelques mois après y avoir accédé. Mais l’affaire Pavlov vit et s’impose encore aujourd’hui.
Où ? Au siège de l’Union européenne, où l’on explique souvent à la Russie l’importance de protéger les droits des investisseurs étrangers et le caractère intouchable de la propriété privée. Voilà ce qui me vient à l’esprit face à la crise bancaire chypriote.
A la fin des années 1990, j’ai participé à une réunion urgente du gouvernement russe – un samedi. Comme le vestiaire était fermé le week-end, j’ai voulu laisser ma veste sur un canapé dans le hall, devant le cabinet du responsable qui devait me recevoir. Lorsqu’il l’a vu, ses yeux sont sortis de leurs orbites: « Ca va pas, non ? Tu ne peux pas faire ça! Amène ta veste dans mon bureau! », m’a-t-il dit sur un ton ne tolérant aucune objection.
Si un jour j’avais l’occasion de visiter une institution financière de l’Union européenne je profiterais de cette recommandation. Je vérifierais toutes les cinq minutes si mon porte-monnaie est à sa place ou s’il a déjà disparu après un « tour de magie financier » local. Et si quelqu’un me demandait la raison de mon étrange comportement, je répondrais par un seul mot: « Chypre! ».
Que les choses soient claires : je ne me prends pas pour un grand spécialiste en économie. Avant d’écrire cette chronique, je n’ai jamais eu quoi que ce soit à voir avec Chypre. Je n’ai pas suivi l’évolution de la crise financière dans la partie grecque de cette île. Qui plus est, je ne veux absolument pas approfondir sur les causes ayant mené à l’état déplorable du système bancaire du pays.
Je ne doute pas un instant que les autorités financières de l’UE avaient toutes les raisons du monde d’exiger de Chypre ce qu’elles ont exigé. Mais Valentin Pavlov avait également de très bonnes raisons pour initier le change des billets de 50 et de 100 roubles.
« L’évolution de la situation politique à la fin des années 1990 a montré que certains milieux financiers, à l’étranger, avaient commencé à se préparer à la privatisation imminente en URSS. Les informations venant de sources confidentielles prouvaient qu’une partie de la masse monétaire russe se concentrait – via des personnes interposées – entre les mains d’étrangers, et ce pour des montants très élevés. D’autre part, les oligarques russes ont commencé à accumuler d’énormes capitaux à l’étranger dans le même but » – c’est ainsi qu’en 1995 Valentin Pavlov a expliqué ses motivations dans ses mémoires.
Et voici comment le site du Wall Street Journal défend les actions des autorités financières de l’UE à l’égard de Chypre: la nation méditerranéenne s’est transformée en ce que le groupe Global Financial Integrity appelle « machine à laver de l’argent sale russe ».
D’après le rapport de cette organisation, 128,8 milliards de dollars ont été transférés de Russie vers Chypre en 2011, soit cinq fois le PIB de Chypre. « Ces flux ne sont pas un scoop mais ils provoquent des réactions divisées après les scandales tels que la mort de Sergueï Magnitski. Cinq pays, dont Chypre, enquêtent sur les virements effectués par ceux qui sont accusés de crimes contre Hermitage, la compagnie où travaillait Magnitski. Les gouvernements européens n’ont pas voulu sortir du trou financier les criminels qui transféraient leur argent via des banques chypriotes. »
L’argumentation est très ressemblante, n’est-ce pas ? Dans les deux cas, il est question d’une lutte contre des criminels qui ne méritent aucun autre traitement. Début 1991 : je me souviens parfaitement des très longues files d’attente, formées de ceux qui voulaient changer leurs billets après qu’ils ont perdu leur valeur. Je peux en témoigner : ce ne sont pas les criminels qui ont souffert de cette réforme monétaire mais des gens ordinaires qui jusque-là croyaient à la fiabilité du système financier de leur pays. « Jusque-là ».
De mon point de vue, les autorités européennes jouent avec le même feu qui a fait brûler il y a plus de vingt ans le système financier de l’Union soviétique.
Evidemment, ce parallèle est très abstrait. L’URSS de 1991 et l’UE de 2013 sont des structures complètement différentes, tout comme leur marge de sécurité. Mais la notion de confiance est primordiale pour tout système financier moderne.
Certes, dans le passé, tout était simple. La valeur d’une unité monétaire de tel ou tel pays était déterminée par la quantité d’or qu’il détenait. Mais la réserve d’or a été reconnue comme une théorie archaïque au XXème siècle déjà.
Aujourd’hui, tout s’appuie uniquement sur la confiance. On vous fait confiance ? Alors vous avez tout. Non ? Vous perdez tout ou presque.
Je ne pense pas que les autorités de l’UE aient commis une erreur pouvant détruire le système financier. Mais je suis convaincu qu’elles vont dans la mauvaise direction.
Après la lecture des mémoires de feu Valentin Pavlov, je pense qu’il était un homme bon et honnête, un patriote qui voulait sincèrement préserver son pays. Mais il n’empêche que Pavlov n’était pas un économiste dont l’expérience mériterait d’être reproduite au XXIème siècle.
Les dirigeants financiers actuels de l’UE en savent probablement peu sur cette personnalité apparue au crépuscule de l’époque soviétique. Ils feraient mieux de remédier au plus vite à ce blanc dans leur éducation. Il est préférable d’apprendre des erreurs des autres.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction
L’article du le site RIA Novosti