C’est un excellent papier de l’excellent Dmitry Orlov dont on peut ne pas partager les analyses ou la pensée. Néanmoins, je vous engage à prendre quelques minutes pour lire ce texte passionnant qui, j’en suis certain, ne manquera pas de stimuler aussi bien votre réflexion que d’enrichir vos analyses, ce qui est exactement la vocation de mon travail.
Alors je vous souhaite une excellente lecture mais aussi un bon partage de cet article.
Charles SANNAT
Il y a un an et demi, j’ai écrit un essai sur la façon dont les USA ont choisi de voir la Russie, intitulé L’Image de l’ennemi. À l’époque, je vivais en Russie et, après avoir observé la rhétorique antirusse américaine et les réactions des Russes, j’ai fait des observations qui m’ont paru importantes à l’époque. Il s’avère que j’avais réussi à déceler une tendance importante, mais étant donné l’allure rapide des derniers développements, ces observations sont tristement dépassées, et par conséquent, en voici une mise à jour.
À cette époque, les enjeux n’étaient pas encore très importants. On faisait beaucoup de bruit au sujet d’un type dénommé Magnitsky, un avocat d’affaires véreux qui s’était fait arrêter et qui mourut en détention provisoire. Il détenait des informations sur quelques escrocs occidentaux de plus grande envergure, qui, bien sûr, n’ont jamais été inquiétés. Les Américains ont choisi de traiter toute l’affaire comme une violation des droits de l’homme, et ont répondu par ce qui est communément appelé Loi Magnitsky, qui sanctionnait certains individus russes étiquetés comme “contrevenants aux droits de l’homme”. Les législateurs russes ont répliqué avec la “Loi Dima Yakovlev”, nommé d’après un orphelin russe adopté par des Américains qui avaient provoqué sa mort en le laissant dans une voiture fermée pendant neuf heures. Cette loi interdisait aux démons américains tueurs d’orphelins de continuer à adopter des enfants russes. Le tout se résumait à un mélodrame stupide.
Mais quelle différence depuis un an et demi ! L’Ukraine, qui en ce temps-là s’écroulait à peu près du même pas régulier que ce qu’il avait toujours été depuis son indépendance vingt ans auparavant, est aujourd’hui un État réellement mort, avec son économie en chute libre, une région qui a fait sécession et deux autres en rébellion ouverte, une grande partie du pays terrorisée par des escadrons de la mort financés par des oligarques, et quelques marionnettes intronisées par les Américains, nommément en charge, mais qui tremblent dans leurs bottes à l’idée de ce qui va se passer. La Syrie et l’Irak, qui alors ne mijotaient qu’à petit feu, sont depuis entrés en éruption dans une guerre véritable avec des régions des deux pays sous contrôle du Califat Islamique, qui a été formé avec l’aide des USA et pourvu d’armes américaines via les Irakiens.
La Libye post-Khadafi semble travailler à établir un Califat Islamique de son cru. Sur ce fond de profond échec de la politique étrangère américaine, les USA ont trouvé pertinent d’accuser les Russes de maintenir des troupes “au seuil de l’Otan”, comme si cela n’avait rien à voir avec l’expansion de l’Otan à l’Est, jusqu’aux frontières russes. Sans surprise, les relations entre les USA et la Russie en sont arrivées à un point tel que les Russes ont jugé approprié d’émettre un avertissement sévère : toute autre tentative de coercition par menaces peut déboucher sur une confrontation nucléaire.
Le comportement américain à travers cette succession de défaites a été remarquablement constant, l’élément récurrent étant un refus catégorique de prendre en compte la réalité, de quelque façon que ce soit. Tout comme avant, en Syrie, les Américains cherchent inlassablement des islamistes modérés, pro-occidentaux, qui veulent faire ce que les Américains veulent qu’ils fassent (renverser le gouvernement Assad), mais qui n’iront pas jusqu’à exterminer tous les envahisseurs infidèles sur lesquels ils peuvent mettre la main. Le fait que ces islamistes modérés, pro-occidentaux semblent ne pas exister n’affecte en rien la stratégie américaine dans la région.
De la même façon, en Ukraine, le fait que le lourd investissement des Américains dans la “liberté et la démocratie” ou la “société civile”, ou ce que vous voudrez, ait débouché sur un gouvernement dominé par des fascistes et une guerre civile n’est, selon les Américains, que de la propagande russe. Parader sous la bannière de la division SS ukrainienne d’Hitler et sacrer héros nationaux des collaborateurs des nazis n’est pas assez convaincant à leurs yeux. Que doivent donc faire ces nazis pour prouver qu’ils sont bien nazis, construire des fours et brûler quelques Juifs ?
Massacrer des gens en mettant le feu à un immeuble, comme ils l’ont fait à Odessa, ou tirer dans le dos sur des civils désarmés pour ensuite les jeter dans des charniers, comme ils l’ont fait à Donetsk, n’est pas suffisant semble t-il. Le fait que de nombreuses personnes aient refusé d’être gouvernées par des voyous nazis et leur ont résisté avec succès est la raison de l’étiquette “séparatistes pro-russes” que les Américains leur ont collée, et qu’ils ont alors utilisée pour rejeter la responsabilité des troubles en Ukraine sur la Russie, et imposer des sanctions à la Russie. Ces sanctions seraient revues si la Russie retirait ses troupes de l’Ukraine. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de troupes russes en Ukraine.
Notez que ce type de comportement n’a rien de nouveau. Les Américains ont envahi l’Afghanistan parce que les Talibans ne voulaient leur remettre Ossama Ben Laden (qui était un agent de la CIA) que si les Américains fournissaient des preuves de son implication dans les attentats du 11 septembre – lesquelles n’existaient pas. Les Américains ont envahi l’Irak parce que Saddam Hussein ne voulait pas renoncer à ses armes de destruction massives – qui n’existaient pas. Ils ont envahi la Libye parce que Mouammar Khadafi ne voulait pas renoncer à des positions officielles – qu’il ne détenait pas. Ils étaient prêts à envahir la Syrie parce que Bashar el Assad avait utilisé des armes chimiques contre sa population – ce qu’il n’avait pas fait. Et aujourd’hui, ils ont imposé des sanctions contre la Russie parce que la Russie a déstabilisé et envahi l’Ukraine – ce qu’elle n’a pas fait non plus (les USA l’ont fait).
Les sanctions contre la Russie ont un aspect d’autant plus surréaliste qu’elles se retournent contre l’Occident tout en donnant au gouvernement russe l’élan qu’il lui fallait pour réaliser ce qu’il voulait faire depuis longtemps. Les sanctions ont porté atteinte aux droits de plusieurs hommes d’affaires et officiels russes, qui ont brutalement retiré leur argent des banques occidentales et leurs enfants des écoles et universités occidentales, et ont tout fait pour démontrer qu’ils étaient de bons patriotes russes, et non les laquais des Américains.
Les sanctions ont affecté plusieurs compagnies d’énergie russes, en les coupant des sources occidentales de technologie et de financement, mais cela va d’abord sabrer les gains des compagnies d’énergie occidentales et profiter à leurs rivaux chinois. Il y a même eu la menace de couper la Russie du système SWIFT, ce qui aurait rendu assez difficiles les transferts de fonds entre la Russie et l’Occident, mais au lieu de cela, la conséquence de cette menace aura été de donner un élan à la Russie pour créer son propre système RUSSWIFT, qui inclura même l’Iran, et neutralisera toute velléité américaine future d’imposer des restrictions financières.
Les sanctions étaient censées causer des dégâts économiques, mais les efforts occidentaux pour infliger des dommages à court terme à la Russie sont en train d’échouer. Couplé à une baisse substantielle du prix du pétrole, tout cela était censé affecter fiscalement la Russie, mais comme les sanctions ont également fait chuter le rouble, le résultat net sur les finances de la Russie est nul. Les prix du pétrole sont plus bas, mais en partie grâce aux sanctions, il en va de même du rouble, et comme les revenus du pétrole sont encore généralement en dollars, cela signifie que les reçus d’impôts russes sont en gros au même niveau qu’avant. Et puisque les compagnies pétrolières russes gagnent des dollars à l’étranger mais dépensent localement des roubles, leurs budgets de production ne sont pas affectés.
Les Russes ont aussi répliqué par des contre-sanctions et par l’adoption rapide de mesures visant à neutraliser l’effet des sanctions passées contre eux. La Russie a interdit l’importation de certains produits de l’UE – au grand dam des agriculteurs européens. Parmi les membres de l’UE, les pays les plus férocement antirusses ont été les plus touchés : les pays Baltes, qui n’ont pas tardé à perdre une grosse partie de leur PIB, tout comme la Pologne. La Serbie, qui ne s’était pas jointe aux sanctions, fait figure d’exception. Ici, le message est simple : les amitiés séculaires comptent ; ce que les Américains veulent n’est pas ce que les Américains obtiennent ; et l’UE n’est qu’un bout de papier. De sorte que les contre-sanctions sont en train de créer une situation conflictuelle entre les USA et l’UE, et, à l’intérieur de l’UE, entre l’Europe de l’Est (la plus touchée par les sanctions russes) et l’Europe de l’Ouest. De façon plus significative, elles mettent en lumière un message simple : les USA ne sont pas les amis de l’Europe.
Il y a un autre point qui va devenir important sur le long terme : la Russie a compris le message et se détourne de l’Occident pour aller vers l’Est. Elle fait fructifier son défi ouvert aux tentatives de domination mondiale des USA en le transformant en relations commerciales à travers le monde, dont une grande partie en a plus qu’assez de payer un tribut à Washington. La Russie tient le premier rôle dans la mise en place d’un système bancaire international qui court-circuitera le dollar US et la Réserve fédérale. Sur ce terrain, plus de la moitié des territoires et des populations du monde sont carrément du côté des Russes et les applaudissent à grand bruit. De sorte que l’effort pour isoler la Russie a produit l’effet inverse : il tend plutôt à isoler l’Occident du reste du monde.
De plusieurs autres façons, les sanctions ont en réalité un effet positif. L’interdiction des importations de produits alimentaires depuis l’UE est une aubaine positive pour l’agriculture du pays tout en faisant ressortir un point politiquement important : ne prenez pas la nourriture de la main de ceux qui vous mordent. La Russie est déjà l’un des plus grands exportateurs de céréales au monde, et il n’y a aucune raison pour qu’elle ne devienne pas entièrement autosuffisante au plan alimentaire. L’élan pour le réarmement face à l’emprise de l’OTAN sur les frontières russes (il y a maintenant des troupes US basées en Estonie, à quelques heures de route de la seconde ville du pays, Saint-Pétersbourg) fournit la motivation nécessaire au redéveloppement industriel. Ce cycle de dépenses militaires est planifié de façon un peu plus intelligente que du temps des soviets, en incluant au plan dès le départ la conversion finale en industries civiles. Aussi, en plus d’avoir les meilleurs avions de combat du monde, la Russie est sans doute sur le point de commencer à produire des avions civils destinés à l’export pour faire concurrence à Airbus et Boeing.
Mais ce n’est que le début. Les Russes semblent avoir finalement réalisé à quel point le terrain de jeu a été faussé à leur détriment. Ils ont dû jouer selon les règles de Washington de deux façons déterminantes : en se soumettant à la volonté de Washington pour garder leur crédit auprès des trois agences majeures de notation occidentales et avoir accès aux crédits occidentaux ; et en jouant selon les règles occidentales en matière d’émission de crédit, ce qui a maintenu leurs taux d’intérêt intérieurs artificiellement élevés. Le résultat a été que les entreprises américaines ont pu financer leurs opérations pour des coûts inférieurs, les rendant artificiellement plus compétitives. Mais aujourd’hui alors que la Russie travaille vite à sortir du dollar en passant à des arrangements commerciaux en monnaies bilatérales (soutenues par de l’or en cas de déséquilibres du marché), elle cherche aussi des moyens de faire tourner la planche à billets à son avantage. Jusqu’à présent le diktat de Washington a été : “Nous pouvons imprimer autant d’argent que nous le souhaitons, mais vous, vous ne pouvez pas, ou bien nous vous détruirons.”
Mais cette menace résonne dans le vide, et la Russie n’utilisera plus ses revenus en dollars pour acheter de la dette US. Une des propositions actuellement sur la table est de rendre impossible le paiement des exportations russes de pétrole avec autre chose que des roubles, en établissant deux places de marché pétrolières, une à Saint-Pétersbourg et l’autre sept fuseaux horaires plus loin, à Vladivostok. Les acheteurs étrangers de pétrole devraient alors gagner leurs pétro-roubles de façon honnête – par le commerce bilatéral – ou, s’ils ne peuvent produire suffisamment de biens que les Russes veulent importer, ils pourront payer leur pétrole avec de l’or (tant que les approvisionnements dureront). Ou bien les Russes pourraient simplement imprimer des roubles, et, pour être sûr que cette production ne provoque pas d’inflation intérieure, ils pourraient exporter une partie de cette inflation en jouant sur le robinet de pétrole et les taxes douanières sur l’exportation de pétrole. Et si George Soros et ses semblables décident d’attaquer le rouble en vue de le dévaluer, la Russie pourrait défendre sa monnaie simplement en en imprimant moins pour un temps – plus besoin d’accumuler des réserves de dollars.
Jusqu’ici, tout cela ressemble à une guerre économique typique : les Américains veulent obtenir tout ce qu’ils veulent en imprimant de la monnaie et en bombardant les réfractaires, ou en sanctionnant quiconque leur désobéit, pendant que le reste du monde tente de leur résister. Mais début 2014, la situation a changé. Il y a eu un coup d’État à Kiev, à l’instigation des USA, et au lieu de se retourner et de faire le mort comme ils étaient censés le faire, les Russes ont mis sur pied avec un plein succès une campagne rapide et brillante pour reprendre la Crimée, puis ont pu faire échec à la junte de Kiev, l’empêchant de consolider son contrôle sur le reste des anciens territoires ukrainiens en laissant entrer les volontaires, les armes, les équipements et l’aide humanitaire – et des centaines de milliers de réfugiés sortir – à travers la frontière parfaitement théorique entre l’Ukraine et la Russie, tout en évitant toute confrontation militaire directe avec l’OTAN. En voyant tout ceci au journal du soir, la population russe s’est réveillée de sa torpeur politique, s’est redressée, a été attentive, et a propulsé la popularité de Poutine jusqu’aux sommets.
“L’optique” de tout ceci, comme ils disent à la Maison Blanche, est plutôt inquiétante. Nous voilà près du 70e anniversaire de la victoire de la Seconde Guerre mondiale, un moment historique pour les Russes, qui s’enorgueillissent d’avoir vaincu Hitler presque à eux seuls. Au même moment, les USA (l’ennemi de toujours autoproclamé de la Russie) entreprennent de réveiller et de nourrir le monstre du nazisme juste à la frontière russe (à l’intérieur des frontières de la Russie, diraient certains Russes/Ukrainiens). Ceci rappelle aux Russes ce qu’est la mission historique de la Russie dans “le concert des nations” : briser les tentatives des autres nations de dominer le monde, que ce soit la France napoléonienne, l’Allemagne hitlérienne ou l’Amérique obamaniaque. Chaque siècle ou presque, une nation oublie ses leçons d’histoire et attaque la Russie. Le résultat est toujours le même : des monceaux de cadavres dans la neige, puis la cavalerie russe galopant dans Paris ou les tanks russes entrant dans Berlin. Qui sait comment cela se terminera cette fois-ci ? Peut-être qu’il y aura des hommes polis et fortement armés, en uniformes verts sans insignes, patrouillant dans les rues de Bruxelles ou de Washington, DC. Le temps nous le dira.
Vous pourriez penser qu’Obama a déjà trop tiré sur la corde, et qu’il devrait se contenir. Sa popularité chez lui est à peu près l’inverse de celle de Poutine, c’est-à-dire qu’Obama est toujours plus populaire qu’Ebola, mais pas de beaucoup. Il ne peut absolument rien mener à bien, aussi inutile ou futile que cela soit, et ses efforts jusqu’à présent, que ce soit chez lui ou à l’étranger, ont été essentiellement des désastres. Alors que va décider de faire ce travailleur social devenu mascotte nationale ? Du point de vue russe, il a manifestement décidé de déclarer la guerre à la Russie ! Au cas où ça vous aurait échappé, voyez son discours devant l’assemblée générale de l’ONU. Il est disponible sur le site web de la Maison Blanche. Il a placé la Russie directement entre Ebola et EIIL parmi les trois plus grandes menaces auxquelles le monde fait face. Du point de vue russe, ce discours sonne comme une déclaration de guerre.
Il s’agit d’un nouveau type mixte de guerre. Ce n’est pas la guerre totale à mort, quoique selon les standards de la guerre froide, les USA soient plutôt imprudents vis-à-vis d’une confrontation nucléaire. C’est une guerre de l’information – fondée sur des mensonges et des calomnies injustes ; c’est une guerre financière et économique – par l’utilisation de sanctions ; c’est une guerre politique — qui utilise le renversement violent de gouvernements élus et le soutien à des régimes hostiles aux frontières de la Russie ; et c’est une guerre militaire – qui utilise des coups inefficaces, mais insultants, comme de poster une poignée de soldats américains en Estonie. Et les buts de cette guerre sont clairs : il s’agit de saper la Russie économiquement, de la détruire politiquement, de la démembrer géographiquement, et d’en faire un Etat vassal docile qui fournisse des ressources naturelles à l’Occident pratiquement pour rien (contre quelques oboles envers une poignée d’oligarques russes et de mafieux qui joueront le jeu). Mais il semblerait que rien de tout cela ne se produise parce que, voyez-vous, un grand nombre de Russes ont saisi les enjeux, et choisiront des dirigeants qui, en Occident, ne l’emporteraient pas à des concours de popularité, mais qui les mèneront à la victoire.
Étant donné la prise de conscience du fait que les USA et la Russie sont, qu’on le veuille ou non, en état de guerre, aussi opaque et confuse soit-elle, les gens en Russie essaient de comprendre le pourquoi de la situation et ce qu’elle signifie. De toute évidence, les USA ont vu la Russie comme l’ennemie depuis la Révolution de 1917, sinon avant. Par exemple, nous savons qu’après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les décideurs militaires américains pensaient à déclencher une frappe nucléaire contre l’URSS, et la seule chose qui les a retenus était qu’ils n’avaient pas assez de bombes, ce qui voulait dire que la Russie pouvait prendre toute l’Europe avant que les effets des frappes nucléaires ne l’en ait empêchée (la Russie n’avait pas encore l’arme nucléaire à l’époque, mais elle comptait de nombreuses forces conventionnelles au cœur même de l’Europe).
Mais pourquoi avoir déclaré la guerre maintenant, et pourquoi a-t-elle été déclarée par ce travailleur social devenu bonimenteur national ? Quelques observateurs pénétrants ont mentionné son slogan “l’audace de l’espoir”, et se sont risqués à supposer que ce genre d’”audace” (qui en russe ressemble beaucoup à “folie”) pourrait être un élément central de son caractère, qui lui donne l’ambition d’être le maître de l’univers, comme Napoléon ou Hitler. D’autres ont étudié le charabia de sa première élection présidentielle (qui a tellement excité les jeunes bêtas américains) et découvert qu’il avait de belles choses à dire sur certains acteurs de la guerre froide. Pensez-vous qu’Obama soit peut-être un savant historien et un géopoliticien madré à part entière ? Cette question déclenche en général un bon éclat de rire, car la plupart des gens savent qu’il est juste un benêt qui répète quoi que ce soit que ses conseillers lui disent de dire. Hugo Chavez a dit de lui une fois qu’il était “otage à la Maison Blanche”, et il n’était pas trop loin de la vérité. Alors, pourquoi ses conseillers sont-ils si pressés d’entrer en guerre contre la Russie, maintenant, cette année?
Est-ce parce que les USA s’effondrent plus vite que ce que la plupart des gens ne l’imaginent ? Selon ce raisonnement, le schéma de domination mondiale américaine à travers l’agression militaire et la planche à billets illimitée est en train de s’écrouler sous nos yeux. Le public ne veut plus de troupes au sol, les campagnes de bombardement ne font rien pour contenir les militants que les Américains ont eux-mêmes aidé à organiser et à équiper, l’hégémonie du dollar s’effrite un peu plus chaque jour, la Réserve Fédérale est en panne de solutions-miracles et va devoir choisir entre sacrifier le marché boursier ou sacrifier le marché obligataire.
Afin d’arrêter, ou tout du moins d’anticiper cette chute dans un néant financier, économique et politique, les USA doivent agir rapidement pour saper toute économie concurrente dans le monde, par tous les moyens encore à leur disposition, que ce soit une campagne de bombardement, une révolution ou une pandémie (bien que cette dernière puisse être un peu difficile à garder sous contrôle). La Russie est une cible évidente, parce qu’elle est le seul pays au monde qui a eu le cran de montrer une stature internationale dans l’affrontement avec les USA et l’aptitude à les contenir ; c’est pourquoi la Russie doit être punie en premier, pour que les autres restent dans le rang.
Je ne suis pas en désaccord avec ce raisonnement, mais je voudrais y ajouter quelque chose.
Tout d’abord, l’offensive américaine contre la Russie, tout comme celle de la plus grande partie du reste du monde, porte sur ce que les Américains aiment appeler “les faits sur le terrain”, et il faut du temps pour créer ces faits. Le monde ne s’est pas construit en un jour, et il ne peut être détruit en un jour (à moins d’utiliser des armes nucléaires, mais alors il n’y a pas de stratégie gagnante pour quiconque, USA inclus). Mais le château de cartes de la finance peut être détruit assez rapidement et là, la Russie peut obtenir beaucoup en risquant peu. Financièrement, la position de la Russie est si solide que même les trois agences occidentales de notation n’ont pas eu le cran de dégrader la note de la Russie, malgré les sanctions.
Voilà un pays qui rembourse sa dette extérieure avec dynamisme, qui a un excédent budgétaire record, une balance des paiements positive, qui amasse des réserves physiques d’or, et pas un mois ne s’écoule sans qu’il ne signe un important accord commercial international (qui contourne le dollar US). En comparaison, les USA sont un cadavre ambulant : s’ils ne pouvaient continuer à refinancer des milliers de milliards de dollars de dettes à court terme chaque mois à des taux bas record, ils ne pourraient payer les intérêts de leur dette ou leurs factures. Adieu État-providence, bonjour les émeutes. Au revoir industrie militaire et police fédérale, salut chaos et frontières ouvertes. Maintenant, changer les “faits sur le terrain” requiert des actions tangibles, alors que créer une panique financière nécessite juste quelqu’un pour crier “hou !” de manière assez forte et assez effrayante.
Ensuite, il faut bien comprendre qu’à ce stade l’élite dirigeante américaine est presque entièrement sénile. Les plus vieux semblent réellement séniles au sens médical du terme. Prenez Leon Panetta, l’ancien secrétaire de la Défense : il fait la promotion de son nouveau livre, et il en est encore à accuser le président de la Syrie, Bachar el Assad, d’avoir gazé son propre peuple ! Aujourd’hui, n’importe qui d’autre sait qu’il s’agissait d’une attaque sous fausse bannière menée par quelques rebelles syriens sans cervelle aidés par des Saoudiens, dans le but de fournir une excuse aux USA pour bombarder la Syrie – vous savez, encore la bonne vieille blague des “armes de destruction massive”. (D’ailleurs, ce genre d’insistance idiote, répétitive, sur de faux prétextes semble un signe certain de sénilité.) Ce plan n’a pas fonctionné parce que Poutine et Lavrov sont intervenus et ont rapidement convaincu Assad d’abandonner ses stocks inutiles d’armes chimiques. Les Américains étaient livides. Tout le monde connaît cette histoire, sauf Panetta. Vous voyez, quand un officiel américain commence à mentir, il ne sait plus comment s’arrêter. L’histoire commence toujours par un mensonge, et quand des faits qui contredisent l’histoire initiale se font jour, ils sont simplement ignorés.
Voilà pour la vieille garde sénile, mais alors quid de leurs successeurs ? Eh bien, le représentant parfait de ces jeunes est Hunter Biden, le fils du vice-président, qui a fait une tournée des vices en Ukraine l’été dernier, et s’est retrouvé par inadvertance dans un siège du conseil d’administration de la plus grosse compagnie de gaz naturel d’Ukraine (à qui il ne reste guère de gaz). Il en est parti parce qu’il était accro à la coke. En plus des nombreux héritiers désignés d’office, tel le fils du vice-président, il y a aussi un certain nombre de bergeries pleines de diplômés bêlants des universités de l’Ivy League (NDT : Harvard, Yale, Princeton…) qui ont été spécialement dressés pour occuper des postes hauts placés. Ce sont les “excellents moutons” du professeur Deresiewicz.
Il n’y a pas grand-chose auquel ces gens, jeunes ou vieux, ne puissent faire face. Honte internationale, défaite militaire, catastrophe humanitaire – tout cela rebondit sur eux et vous revient dans la figure pour l’avoir évoqué et avoir été trop négatif envers leur propre vision en rose d’eux-mêmes. Le seul coup qu’ils puissent ressentir est un coup au portefeuille.
Ce qui nous ramène à mon premier point : hou !
Source, l’excellent site de notre camarade Olivier Berruyer ici