Excellent article du Point au titre évocateur. D’ailleurs, en l’espèce, poser la question, c’est en réalité déjà y répondre. Eh oui, certains commencent à découvrir que nous avons un véritable problème avec la croissance et que cette dernière ne revient pas. Elle est obstinément absente, même aux USA où elle devrait être très forte enfin plus forte qu’en Europe et vu les milliers de milliards de dollars injectés… Mais en fait rien ne se passe ou pas grand-chose. Pourquoi ?
Parce que la croissance infinie dans un monde fini, cela est tout simplement impossible.
Charles SANNAT
Le film se répète d’année en année. Au moment d’établir son budget, le gouvernement table sur la croissance pour boucler les comptes. 0,8 % du PIB en 2013, 1 % en 2014, 1,7 % en 2015. Puis l’indécrottable optimisme de François Hollande est démenti par les faits. En 2013, la croissance a finalement plafonné à 0,3 %. Cette année, elle ne devrait pas dépasser 0,4 %. Et, pour l’année prochaine, Bercy ne se fait plus d’illusions : le PIB ne devrait pas augmenter de plus de 1 %.
Et si la véritable croissance était derrière nous ? La question agite la communauté des économistes. François Hollande et les experts de Bercy semblent eux-mêmes se la poser. Selon Les Échos de vendredi, le retour promis à 3 % de déficit en 2017 repose sur des hypothèses un peu plus raisonnables que celles de la trajectoire budgétaire transmise à Bruxelles en avril. Au lieu de 2,25 % par an, Bercy aurait retenu 1,6 % en 2016 et 1,9 % en 2017. Mais il se pourrait que ces estimations soient encore beaucoup trop optimistes.
L’alarme des Américains
La croissance pourrait, en effet, être durablement faible et ne jamais revenir à ses niveaux d’avant-crise. L’hypothèse ne concerne pas seulement la France, mais l’ensemble des pays développés. Pour preuve, ce sont surtout des économistes américains qui ont sonné l’alarme, à commencer par Larry Summers, célèbre secrétaire au Trésor du président américain Bill Clinton et candidat malheureux à la présidence de la banque centrale. Selon ces oiseaux de mauvais augure, le déclin de la croissance est inexorable à long terme. Au point qu’il faudrait se préparer à un risque de « stagnation séculaire », susceptible de faire vaciller le modèle économique des sociétés occidentales.
Pour Larry Summers, la croissance est menacée aux États-Unis par une demande insuffisante, liée à l’accroissement continu des inégalités de revenus, les riches ayant une tendance à épargner une plus grande partie de leurs revenus plutôt qu’à consommer. Une mécanique qui finit par réduire les opportunités d’investissements des entreprises dans l’économie réelle. Gavées de cash dont elles ne savent plus quoi faire, elles préfèrent placer leur montagne de profits sur les marchés financiers, voire dans l’immobilier, au risque de générer des bulles, plutôt que d’investir. De quoi expliquer le succès, outre-Atlantique, du livre de Thomas Piketty Le Capital au XXIe siècle, centré sur la dynamique des inégalités.
Vers un ralentissement du progrès technique ?
Selon les tenants de la « stagnation séculaire », la tendance au déclin de la croissance, déjà engagée depuis des décennies, serait aussi entretenue par l’affaissement du progrès technique. C’est la thèse de Robert Gordon. L’économiste américain estime que les révolutions industrielles nées de l’invention de l’électricité, puis de la combinaison du moteur à essence et des canalisations domestiques, ont été infiniment plus importantes pour l’augmentation de la qualité de vie et de la productivité que l’électronique grand public. Et il ne voit pas de technologies futures capables d’inverser la tendance. Or, si les gains de productivité peuvent d’abord conduire à détruire de l’emploi (par l’utilisation plus intensive de machines, par exemple), ils constituent à long terme une source de croissance.
Beaucoup ne partagent pourtant pas un tel pessimisme sur le progrès technique. Barry Eichengreen, lui aussi économiste américain, ne croit pas qu’il soit durablement stoppé. « Les pessimistes ont prédit un ralentissement du rythme des inventions pendant des siècles et ils ont eu constamment tort », écrit-il. Ce spécialiste du système monétaire mondial voit un potentiel formidable dans le développement des robots intelligents ou de la génétique. Et rappelle que les débuts de l’électrification, dans les années 1890, ont été marqués par une période de faible augmentation de la productivité, parce que l’économie n’avait pas eu le temps de s’adapter pour profiter du progrès.
Déclin de la productivité du travail ?
D’autres économistes relativisent le ralentissement de la productivité en invoquant des problèmes d’évaluation du phénomène. Si la comptabilité nationale prend en compte l’amélioration de la qualité des biens, elle ne sait en effet pas mesurer celle de la qualité des services. Le gain de temps généré par les commandes sur Internet n’est, par exemple, pas bien appréhendé. Beaucoup de nouveaux services gratuits, comme YouTube ou Google, ne comptent donc pour rien dans le calcul de la richesse nationale produite.
En attendant, le déclin des gains de productivité du travail, c’est-à-dire le rapport entre une production donnée et les moyens humains mis en oeuvre pour l’obtenir, apparaît en tout cas particulièrement fort en Europe. « Depuis les années 1970, les gains de productivité dans la zone euro ont continuellement diminué ; ils sont devenus aujourd’hui extrêmement faibles », écrit Patrick Artus, le directeur de la recherche économique de la banque Natixis.
Pour ce partisan de réformes structurelles ambitieuses, le « PIB potentiel »* de la France est donc durablement affaibli. En d’autres termes, le volume de richesses que l’économie française est capable de produire de façon récurrente par la simple combinaison du volume de travail et de capital disponibles ainsi que du progrès technique a diminué.
Nombreux sont les experts qui pensent en effet, comme Patrick Artus, que la crise financière, puis celle de la zone euro, a été d’une telle violence qu’elle a détruit de façon permanente des capacités de production. Pour eux, les usines fermées auront beaucoup de mal à être remplacées tandis que des chômeurs sans emploi depuis plus d’un an, voire deux, auront énormément de difficulté à se réinsérer un jour sur le marché du travail, même en cas d’amélioration de la conjoncture. Dans une note de juin, l’économiste de Natixis évalue ainsi que la crise a détruit 2,4 % du PIB potentiel de la France. Et il estime la « croissance potentielle à 10 ans » à seulement 0,8.
La démographie, atout de la France
Mais ces chiffres sont très controversés. Car le calcul du PIB et de la croissance « potentiels » est loin d’être une science exacte. Pour Éric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), la « croissance potentielle » française atteint encore 1,3 %, dont 0,4 point au titre de la croissance de la population active et 0,9 point au titre de la hausse de la productivité du travail. La France jouirait ainsi de son relatif dynamisme démographique par rapport à d’autres pays avancés.
Certes, « la croissance de la productivité est aujourd’hui quasi nulle », reconnaît Éric Heyer. Mais, pour cet économiste partisan d’un relâchement des contraintes budgétaires en zone euro, cette situation n’est pas durable. La productivité devrait se redresser en cas de reprise conjoncturelle : « Les entreprises nous disent dans les enquêtes qu’elles peuvent produire plus sans embaucher. » Face à la crise, elles auraient en effet moins ajusté leurs effectifs qu’elles n’auraient pu le faire. En d’autres termes, elles auraient conservé des capacités de production non utilisées. En cas de reprise, elles vont donc améliorer leur productivité plutôt qu’embaucher. À court terme, la hausse de la productivité détruit donc de l’emploi. Mais à long terme, elle en crée.
Déficit structurel ou temporaire ?
Très théorique, le débat sur le déclin supposé du potentiel de croissance de l’économie sous-tend en réalité tout le débat qui oppose le gouvernement aux frondeurs sur l’arbitrage entre politique « de l’offre » ou « de la demande ». Si les tenants de l’affaiblissement durable de la croissance ont raison, alors le déficit public de la France est bien plus structurel que ne le disent les spécialistes de Bercy. Le risque est qu’il ne se résorbe jamais. La dette pourrait alors devenir insoutenable. La solution ne peut être que radicale : la poursuite de réformes structurelles lourdes tout en continuant à marche forcée la réduction du déficit.
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