Mes chères contrariées, mes chers contrariens !
J’ai eu une conversation animée (mot pudique pour dire qu’on débat de façon virile) avec l’un de mes lecteurs contrariens contrarié par ma position ambiguë sur les « privatisations » à venir de notre ministre du Redressement productif.
Son principal argument étant de m’expliquer que l’État est un très mauvais gestionnaire, donc c’est une très bonne chose de « privatiser ».
Je souhaitais donc revenir sur ce sujet quelque peu épineux car où que l’on regarde et quel que soit le camp politique auquel on appartient, le problème avec le concept « nationalisation versus privatisation » c’est qu’il relève au mieux de l’idéologie et au pire de la « croyance ». La religion cryptomarxiste d’un côté affronte le dogme néolibéral de l’autre.
Au milieu de cet affrontement, une réalité infiniment plus complexe et surtout un changement majeur dans la structure des économies nationales qui se profile. En élevant le débat au-delà de nos préjugés respectifs, aussi respectables soient-ils, voici ce que nous pourrions imaginer. Cela va sans doute en dérouter plus d’un parmi vous, mais pour ce sujet comme pour tous les autres, un contrarien doit faire l’effort de voir les choses autrement.
Un chiffre, qui est dans l’édition de Challenges de cette semaine
En fait 3 chiffres, et je cite la phrase complète :
« Poids des entreprises publiques dans l’économie nationale : 96 % en Chine, 17 % en France et 11 % en Allemagne. »
Cette simple phrase résume parfaitement la complexité du débat autour des privatisations.
Il ne viendrait à l’idée de personne de nier l’efficacité économique de la Chine ces 20 dernières années, or ce développement extraordinaire de l’empire du Milieu repose essentiellement (96 %) sur des entreprises publiques avec plan quinquennal de production… Mélenchon devrait aller visiter Pékin.
D’un autre côté, personne ne conteste la force de l’industrie allemande (pour son modèle social, c’est différent car la réussite n’est pas aussi exceptionnelle qu’on veut bien le dire). Dans le cas de l’Allemagne, cette réussite repose essentiellement sur le privé puisque cela représente 89 %…
Finalement, la France se situe très proche de l’Allemagne puisque seuls 6 points nous séparent, alors que nous sommes très éloignés de la Chine.
L’État est-il condamné à être un mauvais gestionnaire ?
Pour le moment, disons-le : oui ! Oui en France, car en Chine ce n’est pas vrai. Pourquoi ? Un exemple récent pour illustrer la bêtise des « zélites » françaises.
Le gouverne-ment a décidé de regrouper plein de machins qui nous coûtent très cher et ne servent pas à grand-chose dans un nouveau bidule tentaculaire qui fonctionnera encore moins bien appelé BPI ou Banque publique d’investissement.
Le problème, c’est qu’à peine le bidule en question créé, on nomme Royal Canin, pardon Ségolène Royal, ex-épouse de notre mamamouchi en chef et mère de ses enfants, à la vice-présidence du bidule susmentionné.
La seule expérience de la dame en question des investissements étant les pertes cumulées sous forme de « subventions » qui ne seront jamais remboursées, octroyées dans le cadre de sa politique de « développement » économique de sa région Poitou-Charentes.
Rassurez-vous, je parle de la Dame du Poitou parce que tout le monde la connaît, mais c’est pareil dans toutes les régions de France et de Navarre.
La première déclaration publique de la nouvelle vice-présidente étant une déclaration de « guerre » au directeur général de la BPI en disant, en gros, que le gros gâteau on va s’en servir pour faire un peu ce qu’on veut, sauver des entreprises qui de toute façon vont crever, et sauver des emplois condamnés à disparaître… avec votre pognon, le tout pour assurer ma réélection (fonctionnement identique dans toutes les autres régions et communes de notre pays) !
Mais ce qui se passe en France n’est pas une fatalité. Au contraire ! L’État peut être un bon gestionnaire à partir du moment où il laisse la gestion aux gestionnaires et se contente de son rôle d’actionnaire idéalement minoritaire (et il ne faut pas reprocher à l’État une forme de détachement dans son rôle d’actionnaire).
Imaginez une France où l’État serait actionnaire de Total !
Je prends cet exemple volontairement d’abord parce que l’État a vendu Total 9 milliards d’euros alors que les bénéfices annuels de cette entreprise sont d’environ 12 milliards d’euros par an, soit un retour sur investissement en 1 an, ce qui, je vous l’assure, est un excellent investissement mais alors vraiment excellent… Bref, si l’État laissait à Total le soin de se gérer et se contentait de prendre 49 % des bénéfices chaque année, c’est environ 6 milliards d’euros qui rentreraient dans nos caisses sans avoir à augmenter les impôts pour tous !!
Moins d’impôts mais plus de dividendes !
Alors l’une des façons non conventionnelles, non idéologues, et très paradoxales par rapport aux politiques économiques actuellement menées et qui ne recèlent ni vision de long terme, ni grandes stratégies intellectuelles, ni intelligence, c’est qu’au moment même où l’on parle de privatisations il faudrait avoir une grande stratégie non pas de nationalisation mais de prises de participations !
Pour information, le bénéfice des 40 entreprises françaises du CAC 40 est de plus de 80 milliards d’euros par an. Voilà qui serait parfait pour réduire notre endettement !
À ce moment de la lecture, ceux qui sont « honnêtement » convaincus que l’État est un mauvais gestionnaire commencent à pousser des hurlements… mais ne possèdent aucun argument pour contrer ce raisonnement qui n’est pas terminé d’ailleurs !
Les fonds souverains, c’est quoi à votre avis ?
Nous sommes les seuls crétins à n’avoir toujours rien compris ! Nous nous plaignons de voir un pays minuscule comme le Qatar racheter le Printemps, le tout mâtiné d’une petite arrière-pensée un poil xénophobe, le Printemps Arabe, vous n’y pensez pas… pourtant tout le monde trouvait ça très bien le « Printemps arabe » quand Ben Ali en Tunisie s’est fait « dégager ».
Au-delà de la plaisanterie, nous attendons désespérément de l’argent des fonds souverains étrangers, qui ne sont rien d’autres que des holdings d’État qui nationalisent des entreprises étrangères pour capter leurs bénéfices au profit de leur État et de leur population.
Il ne vient à l’idée de personne de dire que les fonds souverains norvégien, suédois ou encore qatari sont de mauvais gestionnaires.
Ils sont même d’excellents gestionnaires. Actionnaires de long terme et souhaitant avant tout que leurs participations leur « rapportent » un maximum. Ces États, à travers leurs fonds souverains, sont devenus des actionnaires presque comme les autres.
Cela va même plus loin : ces États ont besoin de cet argent ! Car sans cet argent c’est leur avenir et leur stabilité sociale qui seront remis en cause. Les États deviennent des entreprises comme les autres ou presque.
Quelles conclusions ?
Pour les pays nordiques, les bénéfices obtenus grâce à leur participation servent à financer en partie les coûts de l’État-providence. Pour un pays comme le Qatar, cela permet d’avoir une influence politique mondiale plus importante que sa réalité géographique et démographique tout en préparant l’après pétrole ! Il se passe la même chose pour l’ensemble des pétromonarchies comme l’Arabie Saoudite.
Ce que font avec succès d’autres pays nous nous l’interdisons par bêtise et par idéologie.
On peut même défendre l’idée qu’il n’y a pas plus libéral qu’un État moderne souhaitant faire de l’argent en plaçant en Bourse !! Tout cela étant bien loin des nationalisations à la 1981, avec sécurité de l’emploi et transformation des salariés en fonctionnaires à vie ayant la garantie éternelle de l’emploi.
Imaginez un « choc » d’imagination !
Imaginez un instant une politique très volontariste de prises actives de participations. Nous pourrions stabiliser l’actionnariat de nos grands groupes, capter une partie importante des bénéfices, ne pas avoir à augmenter les impôts sur les entreprises et étouffer ainsi le peu de croissance que nous ayons.
Imaginez que ces gains soient réinvestis dans une grande politique industrielle, imaginez que dans le même temps nous recrutions 50 000 « douaniers » pour contrôler le respect des normes CE de toutes les « chinoiseries » qui rentrent en France (je rappelle que le protectionnisme est interdit mais que les normes CE ne sont pas faites pour les chiens).
Imaginez qu’un container sur deux soit retourné à l’expéditeur (par exemple 60 % des jouets ne sont pas conformes), imaginez que les industriels se rendent compte que le Made in France, ça peut aussi être bien.
Imaginez que malgré l’interdiction du protectionnisme Bruxelles nous montre qu’en réalité c’est possible ! Cela tombe bien car c’est justement le cas. Car oui, Bruxelles a donné son feu vert mercredi à l’imposition à titre provisoire de lourds droits de douane sur les panneaux solaires importés de Chine. Ils atteindront 47 % du prix des produits et entreront en vigueur une fois que la Commission européenne aura publié la décision dans son Journal officiel… Ce n’est qu’une question de jour.
Il faut dire que ce sont nos « zamis » allemands, grands exportateurs devant l’éternel, qui bloquent tout protectionnisme puisque cela n’arrangerait pas leurs affaires. Que les autres pays européens se fassent laminer leur industrie ne leur pose guère de problème (c’est normal, ce sont nos « zamis).
Hélas pour eux, les Chinois n’étant pas des culs-terreux pour toujours, figurez-vous qu’après être montés en gamme ces 20 dernières années… ils sont désormais capables de réduire à néant l’industrie allemande, et c’est exactement ce qu’il s’est passé avec les panneaux solaires Made in Germany… puisque toutes les entreprises allemandes de ce secteur sont en faillite.
Du coup, nos toujours grands « zamis » germains trouvent le libre-échange nettement moins drôle (ce que les Français pensent depuis longtemps mais n’ont pas le droit de dire car la police de la pensée veille) lorsqu’ils sont perdants ! J’en rigole encore. Résultat : pour sauver l’industrie allemande, on met des droits de douane sur les produits photovoltaïques chinois.
Imaginez qu’un jour, un peu moins crétins que d’habitude, nos « zélites » économiques en arrivent à se dire que ce qui est possible sur le solaire pourrait l’être pour tous les autres secteurs – on ne sait jamais, personne n’étant à l’abris d’une illumination.
Imaginez que l’on sorte de l’euro ou qu’en restant dans l’euro, car tout ça n’est qu’une question de choix politique à faire « ensemble » ou « seuls », la ou les banques centrales nous donnent des marges de manœuvre pour refinancer notre dette à 0 % ?
Imaginez que les États puissent investir vraiment (pas dépenser dans du social) en prenant des participations avec de l’argent fraîchement imprimé à 0 % que l’on remboursera grâce aux bénéfices obtenus par nos participations (bel effet de levier n’est-ce pas) ?
Imaginez tout cela, imaginez une fiscalité environnementale ; imaginez une véritable loi sur l’obsolescence programmée et sur la qualité, imaginez encore une véritable politique d’aménagement du territoire où nous arrêterions d’entasser des miséreux dans des HLM pourris dans des villes déprimantes sans aucune perspective d’emploi pour les envoyer dans les campagnes avec un potager et une maison, puisqu’il en existe des millions de vides… Imaginez une économie locale qui se redévelopperait ?
Imaginez qu’une collectivité locale n’ait pas droit « d’emprunter » ! Imaginez qu’il n’y ait plus de régimes spéciaux !
Vous pouvez imaginer tout cela, et plein d’autres choses car cette liste n’est pas exhaustive, et voir qu’il existe de très très nombreuses solutions simples et de bon sens pour sortir de la crise en sortant de nos carcans intellectuels.
Et maintenant, regardez Ségolène Royal, regardez son ex-mari, regardez la vacuité de nos « zélites » et l’absence d’imagination et de courage de nos mamamouchis, et vous comprendrez que tout ce que vous venez d’imaginer ne restera qu’un rêve et vos souffrances de plus en plus réelles.
Mais surtout n’imaginez pas Ségolène Royal à la tête de l’Agence nationale des participations d’État (l’ANPE, on peut réutiliser le terme vu que maintenant pour les chômeurs c’est Paul Emploi, et ressortir quelques anciennes enseignes à des fins de bonne gestion) car effectivement elle serait capable de nationaliser toute sa région et de ruiner à elle toute seule notre nouvelle ANPE ! Et c’est bien le problème de notre pays. Ce qui marche chez les autres ne fonctionne jamais chez nous avec les élites que nous avons.
Alors imaginez tout cela, réfléchissez-y en dehors de toute idéologie dans lesquelles nous avons été tous bercés.
Notre ennemi c’est autant l’idéologie cryptomarxiste qu’un jusqu’au-boutisme néolibéral tout aussi stupide.
Je ne suis donc ni pour les nationalisations ni pour les privatisations mais pour que nous choisissions collectivement comment l’État peut gagner de l’argent et avec quelles participations, des participations et des investissements qui doivent être gérés, changés, arbitrés, avec des prises de bénéfices et des ventes et des rachats, en d’autres termes : une véritable gestion de portefeuille.
Bon sang, soyons inventifs et entreprenants !
Charles SANNAT