NEW-YORK – Si le risque d’une crise désordonnée de la zone euro est parfaitement reconnu, il n’en est pas de même en ce qui concerne les USA qui suscitent un certain optimisme. Au cours des trois dernières années, tout le monde pensait que leur économie était sur le point d’entamer un redémarrage solide et auto-entretenu qui amorcerait une croissance forte. La réalité a été différente : un processus douloureux d’assainissement budgétaire (dû au surendettement du secteur privé et à son transfert au secteur public) a limité la croissance – une croissance qui au mieux atteindra à peine sa valeur potentielle pendant les années à venir.
Cette année aussi presque tout le monde s’est trompé en croyant que la reprise permettrait d’atteindre un taux de croissance du PIB supérieur à la croissance potentielle – qui dépasserait 3%. Or le taux de croissance du premier semestre dépassera probablement à peine 1,5% dans le meilleur des cas – un taux encore plus bas que celui, lamentable, de 1,7% en 2011. Et maintenant après cette erreur d’appréciation, beaucoup croient à nouveau au conte de fée selon lequel la combinaison de la baisse du prix du pétrole, de la hausse des ventes dans l’automobile, de la remontée des prix dans l’immobilier et du volume de la production manufacturière aux USA va doper la croissance au cours du deuxième semestre et permettra d’attendre un taux supérieur à celui de la croissance potentielle en 2013. La réalité sera à l’opposé, la croissance va encore ralentir au cours du deuxième semestre, un mouvement qui se prolongera en 2013 pour frôler la stagnation. Ceci pour plusieurs raisons :
1) Le taux de croissance qui atteignait la valeur médiocre de 1,8% au cours du premier trimestre a encore fléchi car la création d’emplois (environ 70 000 par mois) s’est effondrée.
2) Le retour à l’augmentation automatique de la fiscalité et la baisse des dépenses programmées pour la fin de l’année pèsera sur la consommation et la croissance jusqu’à cette échéance. Il en est de même des incertitudes quant au résultat de l’élection présidentielle de novembre, au taux d’imposition et au niveau de la consommation. Sans compter le risque d’une nouvelle crise de trésorerie de l’Etat, en raison d’un plafonnement possible de la dette et la menace d’un abaissement de la note du pays par les agences spécialisées si l’impasse politique continue à empêcher l’adoption d’un plan de consolidation budgétaire à moyen terme. Dans ces conditions, la plupart des entreprises et des ménages se mettront en position d’attente et restreindront leurs dépenses, ce qui affaiblira encore davantage l’économie.
3) S’il est mis fin aux réductions d’impôt et à certains transferts sociaux et que le budget soit soumis à des coupes drastiques, cela pèsera à hauteur de 4,5% du PIB en 2013. Ce sera beaucoup moins si ces mesures sont nettement moins sévères. Mais même dans ce cas, si elles ne pesaient qu’à hauteur de 0,5% du PIB, et si le taux de croissance à la fin de cette l’année est de 1,5% comme c’est probable, cette politique conduirait l’économie au bord de la stagnation avec un taux de croissance de tout juste 1%.
4) La croissance de la consommation des ménages au cours des derniers mois ne reflète pas l’évolution des salaires réels (ils sont à la baisse). La croissance du revenu disponible (et par conséquent de la consommation) se maintient cependant depuis l’année dernière grâce à une baisse d’impôt de 1400 milliards de dollars et à des transferts sociaux qui ont creusé la dette publique d’un même montant. Contrairement à la zone euro et au Royaume-Uni où une récession à double creux est déjà à l’oeuvre en raison d’une politique d’austérité, les USA ont évité de désendetter les ménages en creusant encore la dette du secteur public, autrement dit en portant atteinte la croissance future.
En 2013, avec la suppression des transferts sociaux et la fin progressive des allégements fiscaux, la croissance du revenu disponible des ménages et la croissance de la consommation seront faibles. Les USA seront alors confrontés non seulement aux effets directs des restrictions budgétaires, mais aussi à ses effets indirects sur la consommation des ménages.
5) Quatre forces extérieures interviendront aussi pour freiner la croissance : la crise de la zone euro qui va s’aggravant, l’atterrissage économique brutal de la Chine, le ralentissement économique généralisé des pays émergent lié à des facteurs cycliques (la faible croissance des pays avancés), des facteurs structuraux (un modèle de capitalisme d’Etat qui affecte le potentiel de croissance) et le risque d’une hausse du prix du pétrole en 2013 (les négociations et les sanctions ne réussissant pas à convaincre l’Iran d’abandonner son programme nucléaire).
Les mesures politiques n’auront qu’un effet très limité pour empêcher la paralysie totale de l’économie américaine : même si l’incidence négative de la politique budgétaire sur la croissance est limitée, le dollar va probablement se renforcer car l’euro s’affaiblit en raison de la crise de la zone euro et du retour de l’aversion au risque. La Réserve fédérale américaine aura encore recours au relâchement monétaire cette année, mais ce sera à pure perte : les taux d’intérêt à long terme sont déjà très faibles et les diminuer encore sera sans grand effet sur la consommation. Le dollar ne va donc pas s’affaiblir, car d’autres pays vont aussi appliquer une politique de relâchement monétaire. Le canal du crédit est gelé et la monnaie ne circule plus que très lentement, tandis que les banques accumulent de plus en plus de monnaie centrale sous forme d’un excédent de réserves.
De la même manière, la Bourse sera probablement plus sensible au malus de la faible croissance qu’au bonus du renforcement du relâchement monétaire, d’autant qu’elle n’est pas aussi déprimée qu’en 2009 ou 2010. Les revenus des entreprises vont bientôt stagner, car la baisse de la demande affecte leur rentabilité.
Une correction boursière significative pourrait faire basculer en 2013 l’économe américaine dans une contraction brutale. Et si les USA (qui restent la première économie mondiale) éternuent à nouveau, le reste du monde – déjà affaibli par le malaise de l’Europe et le ralentissement des pays émergent – va être frappé de pneumonie.
Nouriel Roubini, 20 juillet 2012
Avec l’aimable autorisation d’Olivier Berruyer du site lescrises.fr