Mes chères contrariées, mes chers contrariens !
Ne hurlez pas ! Ne m’insultez pas ! Non ne me pendez pas encore… je plaide le mauvais jeu de mots mais il est à la mesure des maux de notre vieille Europe et de son histoire agitée qui ressurgit aux moindres difficultés.
En Espagne un économiste a publié une Tribune sur le site du plus grand quotidien El Pais. Vous connaissez je pense mon point de vue sur le rôle de l’Allemagne dans cette crise. J’en ai déjà fait part et cela m’a valu quelques critiques dirons-nous pudiquement bien acerbes. Cet économiste espagnol fait globalement une analyse identique à la mienne sur le fonds. Pour la forme, je pense que vu l’état de son pays et la souffrance de son peuple il est juste un peu en avance sur mon état d’énervement futur et sans doute sur le vôtre également.
Oui comparer Angela Merkel à Adolf Hitler est très malheureux car cela nuit complètement à la compréhension des problèmes actuels, cela discrédite totalement les idées pourtant pertinentes avancées et bien sûr Angela Merkel n’est pas Hitler ce qui est une évidence. Mais ce n’est pas tout à fait ce qu’a voulu dire cet économiste lorsqu’on lit bien son texte que je reproduis ci-dessous.
Par Juan Torres López, économiste, professeur à l’Université de Séville
« Il est très significatif qu’on parle habituellement de « punition » pour désigner les mesures que Mme Merkel et ses ministres imposent aux pays les plus touchés par la crise.
Ils disent à leurs compatriotes qu’ils doivent punir notre irresponsabilité afin que les Allemands ne payent pas notre gaspillage et nos dettes. Mais le raisonnement est faux, car les irresponsables n’ont pas été les peuples que Merkel s’obstine à châtier, mais les banques allemandes qu’elle protège et celles d’autres pays auxquelles elles octroyèrent des prêts, avec une irresponsabilité cette fois réelle, pour obtenir des profits multimillionnaires.
Les grands groupes économiques européens ont réussi à établir un modèle d’union monétaire très imparfait et asymétrique qui a aussitôt reproduit et élargi les inégalités initiales entre les économies impliquées. En outre, grâce à leur capacité d’investissement énorme et la puissance de leurs gouvernements, les grandes compagnies du Nord ont pu s’approprier de nombreuses entreprises et même des secteurs entiers des pays de la périphérie, comme l’Espagne. Cela a causé d’importants déficits commerciaux dans ces pays et des excédents, en Allemagne surtout, ainsi que dans d’autres pays dans une moindre mesure.
Parallèlement, les politiques successives des gouvernements allemands ont concentré davantage encore les revenus au sommet de la pyramide sociale, ce qui augmenta son niveau d’épargne déjà élevé. De 1998 à 2008, la richesse du 10% le plus riche d’Allemagne passa de 45% à 53% du total, celle du 40% suivant de 46% à 40% et celle du 50% le plus pauvre de 4% à 1%.
Ces circonstances mirent à la disposition des banques allemandes des sommes énormes. Mais au lieu de les consacrer à l’amélioration du marché intérieur allemand et de la situation de ceux disposant des revenus les plus bas, elles s’en servirent (à raison de quelque 704 milliards d’euros jusqu’en 2009, selon la Banque des règlements internationaux) pour financer la dette des banques irlandaises, la bulle immobilière espagnole, l’endettement des entreprises grecques ou pour spéculer, ce qui fit bondir la dette privée dans la périphérie européenne et les actifs toxiques des banques allemandes (900 milliards d’euros en 2009).
L’éclatement de la crise perturba gravement les banques allemandes, mais elles obtinrent que leur insolvabilité, plutôt que d’apparaître comme le résultat de leur grande imprudence et irresponsabilité (à laquelle Merkel ne fait jamais référence), soit présentée comme la conséquence du gaspillage et de la dette publique des pays abritant les banques auxquelles elles avaient octroyé des prêts. Les Allemands retirèrent rapidement leur argent de ces pays, mais la dette demeura dans les bilans des banques débitrices.
Merkel s’érigea en défenseur des banquiers allemands et, pour les aider, elle lança deux stratégies. L’une est celle des sauvetages, vendus comme destinés à sauver les pays, mais qui consistent en fait à octroyer aux gouvernements des prêts que payent les peuples pour les transférer à des banques, dont une prompte récupération permettrait ensuite de rembourser les Allemands. L’autre stratégie est d’empêcher que la Banque centrale européenne stoppe d’emblée les attaques spéculatives contre la dette de la périphérie, la hausse des primes de risque des autres pays permettant alors à l’Allemagne de se financer à moindre coût.
Merkel, comme Hitler, a déclaré la guerre au reste de l’Europe, cette fois pour s’assurer un espace vital économique. Elle nous punit pour protéger ses grandes entreprises et ses banques et aussi pour faire oublier à son électorat le modèle honteux qui a fait que le niveau de pauvreté de son pays est le plus élevé des 20 dernières années, que 25% de ses salariés gagnent moins de 9,15 euros/heure ou qu’à la moitié de sa population ne correspond, comme je l’ai dit, qu’un misérable 1% de toute la richesse nationale.
La tragédie, c’est l’énorme collusion entre les intérêts financiers paneuropéens qui dominent nos gouvernements et que ceux-ci, au lieu de nous défendre avec patriotisme et dignité, nous trahissent en agissant comme de simples comparses de Merkel. »
Qu’en penser ?
Retirez la phrase en gras qui comme je l’ai dit est fort malheureuse, et vous obtenez un article passionnant où l’on vous démontre qu’en réalité, il convient de faire payer Chypre, l’Espagne ou l’Italie, pour en réalité sauver les banques allemandes (ou françaises) qui après tout ont joué… et perdu ! Je précise que son article a été très vite censuré et supprimé du site d’El Pais!
Car toute ces dettes sous lesquelles croulent les pays du sud ont effectivement bien été financées et elles l’ont été en très grande partie par le système financier allemand qui croulait sous les liquidités et qui par appât du gain est allé investir là où le rendement était le meilleur… et c’est effectivement en Espagne ou en Irlande.
Alors oui cette histoire d’espace vital économique pour qui connait un peu l’Histoire est assez nauséabonde, et je préfère dire pour ma part qu’Angela Merkel est la Chancelière Allemande, c’est-à-dire des allemands et pas de l’Europe ni de la France. Angela Merkel défend et protège les intérêts (ou ce qu’elle croit être les intérêts) de son peuple. L’objectif de l’Allemagne est le leadership en Europe et personne ne peut la blâmer de cela, nous ferions mieux de nous en prendre à notre propre manque d’ambition et de courage.
Je préfère dire qu’une politique qui privilégie trop les intérêts allemands a un corollaire qui est de nuire aux autres pays.
Il faut bien comprendre que tout cela n’est qu’un principe de vases communicants. Ce que nous perdons les allemands le gagnent. Ce que nous gagnons ils le perdent. Mais à jouer comme ils le font nous finiront par être tous perdants car l’Allemagne par la typologie même de son économie tournée vers l’extérieur ne pourra pas s’en sortir bien longtemps avec une Europe dans le chaos.
La politique allemande est mortifère pour l’avenir de l’euro et de l’Europe.
Ne nous y trompons pas. Cette politique prendra fin et la monnaie unique certainement aussi. Ses vices de construction sont tels que l’euro ne survivra sans doute pas à cette crise de même que l’Europe dans sa configuration et ses institutions actuelles. Oui l’Allemagne impose aux autres pays européens des politiques d’austérité qui ne peuvent mener nulle part puisque jamais nous ne transformerons Chypre en un paradis « industriel » !! Soyons sérieux. Et si nous devenions tous des exportateurs comme les allemands nous exporterions à qui ? Aux allemands ? Tout cela est absurde et ne vise qu’à cacher la réalité (ce que la puissance politique de l’Allemagne lui permet de faire), à savoir que l’Allemagne est en faillite à cause des erreurs de ses banques et qu’elle serait incapable d’y faire face aussi bien gérée soit-elle.
Faire payer les pauvres pour sauver la riche Allemagne
C’est contre cela que s’insurge maladroitement notre camarade économiste espagnol qui sur le fonds a parfaitement raison.
Sur son blog, le professeur Torres López a apporté des précisions « Je regrette l’interprétation selon laquelle la thèse de cet article serait la comparaison de Mme Merkel avec Hitler. Je crois même que l’interpréter ainsi ne sert qu’à détourner l’attention du fond de mon article, qui est clairement tout autre. Il est vrai que dans l’article j’affirme qu’à mon avis l’Allemagne a déclaré la guerre économique au reste de l’Europe et que je compare cela avec la recherche de l’espace vital qui conduisit Hitler à déclencher la guerre, mais je crois qu’il faut y voir la comparaison de deux faits historiques lamentables, quoique de facture inégale, mais non la mise sur le même pied de deux dirigeants politiques ».
Chacun d’entre vous jugera et se forgera sa propre opinion. Mais nous serons tous d’accord sur le fait que partout en Europe (et c’est particulièrement valable pour la Grèce) le sentiment anti-européen et anti-allemand est de plus en plus fort. Dire que ce n’est pas bien, ne changera strictement rien à ce problème.
C’est pour cette raison que l’euro va exploser
Encore une fois nous n’avons pas le droit moral d’aller faire les poches de nos amis allemands et de leur demander de payer nos erreurs. Ils n’ont pas plus le droit moral de nous demander de payer pour sauver leurs banques. Ils n’ont pas plus le droit moral d’exiger de nous une rigueur qui conduit à la destruction de nations entières sur le plan économique et social.
Arrêtons l’angélisme béat! Les allemands ne sont pas nos amis (et réciproquement). Ils sont un partenaire. Et dans les partenariats tout est question de rapports de forces. Les allemands vont actuellement beaucoup trop loin et il n’y a pas d’axe européen suffisamment fort pour contre balancer leur influence.
Ne remboursons pas les dettes et nous pourrions nous rendre très vite compte que c’est l’Allemagne qui est toute nue (ne parlons pas d’Angela cela pourrait prêter à confusion et la police de la pensée vieille).
Alors comme l’euro est une monnaie allemande qui ne convient pas au reste de l’Europe, que nous ne pouvons pas demander aux allemands de payer pour nous et que nous ne deviendrons jamais allemands nous serons sans doute forcés de constater tôt ou tard l’échec de la monnaie unique car cela est insoluble dans le cadre actuel (ce qui ne veut pas dire que le retour des monnaies nationales sera une promenade de santé).
Pour Moody’s les autorités de la région surestiment leur capacité à contenir la crise
L’agence d’évaluation financière Moody’s dans un entretien accordé à l’agence Reuters a indiqué que « la gestion confuse du dossier chypriote par la zone euro renforce la pression sur les notes souveraines de l’union monétaire, et prouve que les autorités de la région surestiment leur capacité à contenir la crise ».
Et de poursuivre en disant que « les décideurs politiques semblent très confiants dans le fait que les conditions sur les marchés sont apaisées et qu’ils disposent des outils permettant d’éviter une contagion à d’autres économies périphériques et à leur système bancaire. Nous pensons que cette confiance pourrait bien être malvenue ».
C’est une autre façon pour Moody’s de vous dire que non seulement la crise n’est pas finie mais qu’elle va empirer. Après les économies périphériques et la mise en place de faux systèmes de sauvetage qui ne sauveront jamais rien, c’est le cœur même de la zone euro qui rentre en crise et cela va être dévastateur.
Charles SANNAT
Article très intéressant de Latin reporter qui revient sur le sujet de cet Edito dans El Pais
Communiqué de Presse d’El Pais supprimant l’article en ligne du site du journal