Avec la diffusion d’une vidéo de propagande mettant en scène trois djihadistes français, le mouvement islamiste Daesh fait beaucoup parler de lui dans les journaux. Aussi, l’annonce d’instaurer sa propre monnaie officielle en métaux précieux a elle-même été beaucoup relayée dans les médias. Alerte ! L’organisation terroriste va pouvoir se développer en toute indépendance grâce à leur monnaie ! Même pas peur…
Les enjeux d’une monnaie islamique
Il s’agirait d’une version modernisée du dinar d’or qui circulait au VIIe siècle au temps du calife Othman, autant dire la résurrection d’une vieille monnaie. Cette monnaie serait constituée de pièces en or de 1 et de 5 dinars, de pièces en argent de 1, 5 et 10 dirhams et de pièces en cuivre de 10 et 20 « fills ».
En créant sa propre monnaie, l’État Islamique souhaite « s’émanciper » du système économique mondial « diabolique », « concurrencer le système tyrannique occidental » selon ses propres termes. Outre la volonté de renforcer le pouvoir et l’indépendance d’un nouveau califat, le fait de posséder sa propre monnaie est un symbole idéologique fort. « En créant sa monnaie, le groupe État islamique veut se donner les attributs d’un vrai État » dit Nicolas Véron dans Les Échos.
« L’État Islamique entend signifier aux yeux du monde qu’il est légitime. Battre sa propre monnaie est un marqueur très fort de souveraineté et donc un moyen de s’affirmer en tant qu’État » explique François Mechy dans L’Orient Le Jour.
La difficulté du projet
– L’approvisionnement
Quelques articles ont fait une analyse plus poussée de la faisabilité d’un tel projet.
France 24 mentionne d’abord un problème de dépendance vis-à-vis des métaux précieux. Comment l’État islamique s’approvisionnerait-il et comment pourrait-il s’affranchir des marchés financiers fixant les prix des métaux précieux ? Se pose donc la question de l’approvisionnement. La monnaie se réfère exactement au dinar d’or originel, celui-ci était constitué de 4,3 g d’or pur, ce qui nécessiterait de grandes quantités d’or pour frapper la nouvelle monnaie. Même si l’organisation terroriste « gagnerait près de 90 millions de dollars chaque mois en vendant le pétrole provenant des champs irakiens et syriens contrôlés par les djihadistes dans le marché noir », comment peut-elle s’approvisionner en or ? De façon illégale, sur le marché noir ? En tout cas, certainement pas au London Market exchange.
– Pas de taux de change
Dans l’article de France 24, Pascal de Lima, directeur de cabinet de conseil EcoCell et spécialiste du système financier, explique qu’aucun autre État n’utilisant cette monnaie, sans taux de change, point de salut. La valeur des marchandises, de la monnaie serait fixée arbitrairement, « sans qu’il soit possible de faire des comparaisons internationales ».
– Dur de combattre l’hégémonie du dollar
Il ne faut pas non plus oublier que même si l’État islamique souhaite s’en émanciper, le dollar circule beaucoup dans la région en termes d’échange et de commerce.
Selon François Mechy dans Lorientlejour.com, « le billet vert risque de toujours rester la référence en termes de transactions : l’embargo financier décrété par la communauté internationale à l’encontre du mouvement terroriste devrait dissuader tous ses fournisseurs de se faire payer dans une monnaie aussi compromettante que celle de l’EI ».
– Une charge administrative contre-productive
Enfin, battre sa propre monnaie représente une charge administrative énorme. Comme le rappelle Sébastian SEIBT sur France 24, avoir sa propre monnaie entraîne des conséquences administratives et politiques importantes, nécessitant « une économie extrêmement centralisée et autoritaire ».
Au niveau administratif déjà, il faudrait instaurer des contrôles à tous les niveaux, ne serait-ce que pour éviter les risques de fraudes et de circulation de fausses pièces, évidents au lancement d’une nouvelle monnaie. La tentation pourrait être grande pour la population d’aller échanger quelques pièces contre des dollars. Enfin, pour que la population ait confiance dans une nouvelle monnaie (l’une des conditions sine qua none pour qu’elle le soit), elle doit avoir la certitude que la monnaie avec laquelle elle paie est bien constituée d’or, d’argent ou de cuivre. Tout ce dispositif nécessite énormément de ressources humaines et d’infrastructures, comme établir des douanes aux frontières par exemple.
L’initiative paraît difficilement réalisable, notamment dans sa mise en place, même si l’État islamique dispose de ses propres réserves d’or. Cela tend à prouver que l’or est une monnaie et qu’il constitue toujours un moyen d’échange ; ce que nous ne cautionnons évidemment absolument pas dans ce cas. Ce qui est inquiétant en revanche, c’est que cette annonce peut servir d’autres intérêts, celui des pro-dollars. Vous allez peut-être dire que nous sommes un peu parano (corollaire du contrarien), mais si cette initiative servait de prétexte pour « abolir » le commerce de l’or, nous pensons que cela arrangerait le système monétaire international qui, je vous le rappelle, repose sur une politique monétaire expansionniste du dollar, une impression infinie de billets (dollars, yens, euros…) que seule peut freiner, gêner, empêcher, une quantité finie d’or.
Même si la conversion dollar/or est abolie depuis le 15 août 1971, force est de constater que l’or, de façon souterraine, continue de circuler et de remplir les coffres des banques centrales.