Jacques Attali est de plus en plus pessimiste sur l’avenir de notre pays et encore une fois, je partage avec lui l’essentiel des constats bien que je reste fondamentalement opposé aux solutions qu’il préconise et défend pour sortir de l’ornière. Il veut plus de mondialisation, j’en veux moins. Il veut plus d’Europe, je pense que l’Europe est en partie le problème. Néanmoins, je vous en conseille donc la lecture pour cet édition « spéciale chronique d’une catastrophe annoncée ».
« J’avais donné rendez-vous ici au 2 octobre, parce qu’à cette date, on devait connaître le budget 2015, et l’essentiel des réformes nécessaires pour redresser le pays devaient être engagées.
Est-on enfin sur la bonne voie ? Peut-on espérer encore que ce quinquennat redresse le pays ?
Tout était en place pour que je puisse espérer pouvoir donner une réponse positive à ces questions : un président enfin conscient de la situation et n’entretenant plus l’illusion que la croissance mondiale et européenne emporterait la France vers le haut ; un premier ministre décidé à agir sans chercher à plaire ni au président ni aux groupes de pression ; un ministre de l’économie compétent et préparé aux réformes à conduire et enfin une majorité parlementaire plus réduite mais soudée.
De fait, quelques réformes ont été engagées, en particulier sur le logement, les mœurs, et la maîtrise des dépenses publiques.
Pourtant, le compte n’y est pas. Et de loin. Le budget 2015 est presque aussi trompeur que l’ont été ceux qui l’ont précédé depuis 20 ans : les dépenses publiques continuent d’augmenter en reproduisant les injustices ; la croissance du PIB, qui fonde les recettes, est surévaluée ; le déficit est donc sous-évalué : au rythme actuel, l’année 2015 se terminera avec une croissance du PIB inférieure à 1 %, un déficit supérieur à 5 %, un chômage supérieur à son niveau actuel et une dette publique supérieure à 100 %. Et les rares économies faites l’auront été surtout sur les investissements sans qu’on se soit attaqué sérieusement aux citadelles gaspilleuses dans l’État, la Sécurité sociale, les collectivités territoriales et les agences publiques.
Quant aux réformes, très peu sont engagées. Encore moins annoncées. À moins d’un sursaut peu probable, aucune ne pourra être désormais menée sérieusement dans les 2 ans qui restent avant le début de la prochaine campagne présidentielle : la réforme de la désastreuse loi sur le logement est à peine esquissée ; le financement de la construction reste opaque et plein de gaspillages. La loi annoncée sur le travail du dimanche et sur les seuils sociaux tarde à venir. La réforme annoncée des collectivités locales ne traite pas les points essentiels (le regroupement des communes, la suppression des départements, la clarification des compétences). Rien ne s’annonce pour remettre en cause la situation scandaleuse de la formation permanente, qu’une nouvelle loi vient juste d’aggraver.
Pire encore, on ne remet en rien en cause le paritarisme, devenu la forme supérieure du gaspillage, du corporatisme et du conservatisme, négation de l’intérêt général, dont sont victimes les électeurs et les travailleurs.
Alors, il faut s’attendre à une année 2015 très difficile, peut-être aggravée par la défiance des marchés, qui rendra plus coûteuse la dette publique. On peut s’attendre en 2016 à une nouvelle hausse des impôts, dont la TVA, qui sera décidée en catastrophe et non pour moderniser le système fiscal. On peut s’attendre enfin, devant l’impopularité croissante du pouvoir, à l’enterrement définitif de réformes trop longtemps reportées. À moins que le pouvoir ne surprenne enfin, par un courage suicidaire et salvateur à la fois. Je veux encore y croire, parce que je ne peux me résigner au suicide de mon pays.
Et comme la droite, enferrée dans des affaires et des querelles internes, s’obstine à ne pas concevoir un programme cohérent et ambitieux, et que les partis extrêmes, de gauche et de droite, ne rêvent que de faire de la France une nouvelle Corée du Nord, je le dis avec tristesse : pour de longues années, ne comptez plus sur les politiques.
Mais je le dis aussi avec espoir : car il est ainsi temps pour chacun de réaliser que nul ne décidera pour nous, que nul ne nous donnera un emploi. Il est temps de ne compter que sur nous-mêmes. Et de nous occuper de la politique, en faisant en sorte que nos dirigeants se réveillent et que surgissent de nouveaux leaders, avec des programmes ambitieux et de bon sens, capables de porter plus haut la France. C’est possible. Un pays aussi riche et structuré que la France n’est pas encore perdu. À condition de comprendre notre immense solitude. Et de faire de notre impatience le moteur d’une révolte. Pour soi. Donc pour tous.