Mes chères contrariées, mes chers contrariens !
En cette période de « commémoration », de « devoir de mémoire » au sujet de l’esclavage, à un moment où le président du CRAN (Conseil représentatif des associations noires) porte plainte contre la Caisse des dépôts et consignations, il est difficile de résister à évoquer ce sujet économique sans faire un parallèle immédiat avec ce dessin humoristique de Chappatte dans Le Temps en Suisse.
L’esclavage moderne existe et ce débat est absent… ou presque
Alors que certains veulent faire « payer » pour des crimes (réels) et complexes car la traite des Noirs n’est pas exclusivement le fait des Blancs, puisque 97 % des hommes et femmes vendus aux négriers l’ont été par des hommes issus des minorités majoritaires en Afrique (circonvolution oratoire pour éviter le mot « noir » conformément aux instructions de la police de la pensée)… Enfin, d’après un des intervenants lors d’un débat diffusé sur France 3 qui n’a pas été démenti y compris par le président du CRAN qui, en revanche, vient d’être désavoué par son conseil d’administration dans l’affaire de sa plainte contre la CDC.
Là on m’objectera que les Noirs étaient vendus parce que des Blancs étaient là pour les acheter. C’est parfaitement vrai. Et il en est de même pour les tee-shirts made in Bangladesh ! Ils trouvent bien des acheteurs. Mais plus profondément, les esclaves étaient-ils esclaves parce que noirs, exploités par des Blancs pour des problèmes de couleur ? Je ne pense pas. Les Blancs étaient surtout des « capitalistes » à la recherche d’une main-d’œuvre abondante et la moins cher possible. L’esclavage c’est toujours une histoire d’argent quelles que soient les époques, de l’Antiquité à aujourd’hui, et qui se justifie « moralement » par du racisme du type « le non grec n’est pas un être humain, donc on peut le réduire à l’état d’esclave ». Après on peut décliner cette « idée » à l’infini à travers le temps, les contrées géographiques et les couleurs de peau !
Oui, l’esclavage est une des pages plus que sombres de nos histoires. « Nos » histoires, car c’est un sujet qui concerne l’ensemble des grandes puissances occidentales et pas uniquement la France ! Il fut massif.
Sur ce qu’il s’est passé, on peut se morfondre, battre collectivement notre coulpe, nous maudire sur 500 générations… mais nous n’y changerons rien, car le passé ne se change pas.
Le présent, si !
Or dans notre présent, nous sommes tous des esclavagistes qui s’ignorent, plus ou moins consciemment.
Ce que nous achetons, des gens le paient de leur vie.
J’aime l’idée de consom’acteurs plus que de consommateur. Néanmoins, il ne faut pas être naïf. Entre les problèmes de pouvoir d’achat et de disponibilité d’alternative de qualité et accessible financièrement, il est extrêmement difficile pour la très grande majorité des populations occidentales de devenir des consom’acteurs.
La mondialisation heureuse, c’est bien hein !
Mais que voulez-vous, c’est comme ça, il ne faut surtout pas boycotter les produits venant du Bangladesh pour deux raisons.
La première, c’est qu’appeler au boycott est désormais interdit et formellement prohibé par la loi. Par conséquent, en aucun cas quelqu’un pourra officiellement inciter ses lecteurs à refuser d’acheter tel ou tel produit quand bien même les raisons seraient totalement valables, justes et morales. Avec ce type de loi en vigueur dans notre République qui se penche via son Président sur l’esclavagisme d’il y a deux siècles, nous ne pouvons pas boycotter les esclavagistes modernes ou appeler les volontaires à le faire.
Afin de respecter la loi, le Contrarien Matin, très courageusement, fait part du communiqué suivant :
« Nous appelons l’ensemble des consommateurs lobotomisés à favoriser au maximum l’achat de produit provenant du Bangladesh.
De façon générale, tout produit issu d’une production ou d’une usine faisant travailler des enfants, ou encore des hommes et des femmes sans un quelconque respect de l’être humain doit être votre priorité. On ne le dit pas assez, rendre esclave quelqu’un c’est avant tout lui permettre de recevoir une ration alimentaire lui permettant de survivre. Ce système permet également à l’ensemble des grandes multinationales morales et forts sympathiques de s’engraisser sur le dos de tous.
L’esclave du pays low cost fabrique une merde sans nom que ladite multinationale vous revendra à prix d’or ici en Occident afin de faire le maximum de profits. Dans le même temps, on ferme vos usines ici et il y a de moins en moins de consommateurs, mais comme on a fait du crédit pas cher, on réussit à ce que tout cela ne se voit pas… jusqu’à maintenant.
Un tel système est tellement génial, tellement beau, tellement bon, qu’il serait quand même pénalement irresponsable de vouloir le remettre en cause.
Soyez généreux, faites travailler un esclave, il en va de sa survie. »
Alors vive la mondialisation, c’est tellement génial. Un petit immeuble qui s’effondre de temps en temps ? Rien de bien grave. C’est juste un accident industriel. Une usine qui brûle avec ses 500 ouvriers dedans parce que toutes les fenêtres sont murées et que les portes sont fermées par des chaînes afin qu’aucun salarié volontaire recevant un salaire d’un montant très important ne puisse s’échapper en cours de journée (on ne peut plus compter sur le petit personnel), c’est juste un incendie accidentel…
La deuxième raison, ce sont des arguments que vous entendez à la télé sur les débats sérieux, du type : « Oui mais vous comprenez, ça permet quand même à ces pays de se développer et c’est mieux que rien. » Avec ce type d’arguments, on justifie l’injustifiable intellectuellement. C’est mieux que rien. Un SMIC mieux qu’un RSA, un RSA mieux qu’un bol de riz par jour, un bol de riz par jour toujours mieux que de mourir de faim, alors franchement de quoi se plaint-on ?
Avec un argument comme celui-là, vous pourriez même justifier le goulag en disant que le goulag c’est mieux que la condamnation à mort et l’exécution sommaire.
Deux coupables
Les États qui laissent faire une concurrence parfaitement déloyale entre les pays. Développer le Bangladesh n’est pas le problème des Français, aussi cruel cela soit-il. Fermer nos usines ici pour les ouvrir la-bas, en remplaçant nos ouvriers soumis à une législation sociale (protectrice) pour faire bosser des esclaves modernes dont on ramène la production ici n’est jamais rien qu’un nouveau commerce triangulaire moderne auquel personne ne trouve rien à redire notamment chez nos « zhommes » politiques convertis au libre-échange par on ne sait trop quelle force.
Évidemment, nous pourrions considérer que le non-respect des droit sociaux fondamentaux est une distorsion telle de la concurrence que les droits de douanes seraient parfaitement justifiés, mais non. Le protectionnisme c’est sale, beurk, caca boudin, crotte. Pas beau.
Le deuxième coupable, ce sont évidemment les multinationales qui profitent à plein régime de ce système pour gagner un maximum d’argent.
Pour les naïfs, je précise que c’est normal qu’une entreprise gagne de l’argent. C’est sa vocation, sa raison d’être, sinon c’est une association loi 1901 à but non lucratif. Une entreprise est à but lucratif, elle va chercher légalement (ou presque) à maximiser son rendement.
D’où la nécessité de contre-pouvoir notamment politique. D’une façon générale, en tout et dans tout, il faut des contre-pouvoirs.
Les entreprises poussent la logique mondialiste à son paroxysme et cela engendre quelques effets collatéraux qui finiront par casser lesdits profits.
En supprimant le pouvoir d’achat occidental en délocalisant dans des pays en payant 100 fois moins, on ne crée pas de nouveaux consommateurs solvables. En réalité, les entreprises participent fondamentalement au plus gros phénomène de déflation mondiale de tous les temps.
Au bout du compte, les profits aussi diminueront faute de consommateurs solvables. Nous y arrivons juste et nous le voyons à travers les résultats des constructeurs automobiles qui sont les premiers touchés et que l’on maintient en vie grâce à des primes à la casse qui ne sont rien d’autre qu’un complément de pouvoir d’achat donné par les États à des populations qui n’en ont plus.
Je trouve donc absurde, alors que nous sommes à une époque et avec une actualité qui nous démontre indéniablement que nous sommes tous des esclavagistes modernes ne valant pas mieux que les « zhommes » d’il y a deux siècles, que nous nous roulions par terre en parlant de la traite des Noirs d’il y a deux siècles (sans que cela ne retire quoi que ce soit à cette partie dramatique de l’histoire humaine que nous devons affronter) sans même évoquer la traite de tous les esclaves de tous les pays low cost.
Aujourd’hui, l’esclavagisme industriel ne concerne pas les Noirs. Enfin, pas encore, car il y a peu d’usines en Afrique mais des gens de toutes nationalités et de toutes couleurs. Il peut être chinois, indien, malgache, africain, jaune, noir, blanc, homme ou femme, y compris jeune fille séquestrée dans une usine à bébé pour produire un enfant qui sera acheté comme une simple marchandise, il peut être un passager clandestin et se noyer dans la Méditerranée.
Il n’y a pas à dire, ce qui est bien avec la mondialisation actuelle et l’esclavagisme qui en découle c’est qu’il n’y a aucun racisme. Toutes les couleurs de peaux sont concernées, y compris les « Blancs ». Demandez aux Grecs qui voient leurs droits tellement diminuer, leur salaire minimum tellement baisser qu’ils seront bientôt aussi compétitifs que les Chinois.
Alors ce n’est pas un grand projet mais c’est une évidente conséquence : sans contre-pouvoir, sans opposition, sans syndicat, sans vision politique, le capitalisme, dans sa forme actuelle néo-libérale et mondialiste, nous transformera tous en esclaves sous-payés. Au bout du compte, il n’y aura plus de consommateurs mais uniquement des esclaves sans pouvoir d’achat. Ce jour-là, ce système s’effondrera de lui-même faute de « joueurs »… à moins que l’on se rende compte que pour qu’il y ait de la croissance encore faut-il qu’il y ait redistribution d’une partie de la richesse et que l’argent circule… C’est pour cela que Ford avait fini par augmenter ses ouvriers.
Enfin, ce qui est sûr, c’est que l’on préfère parler de la paille dans l’œil du voisin plutôt que de la poutre dans son propre œil. Alors parlons de la traite négrière mais surtout pas de ce qui se passe aujourd’hui et dont nous sommes tous les complices, y compris les pères, la vertu et la morale du CRAN qui s’habillent vraisemblablement comme tout le monde en 60 % coton, 20 % sueur et 20 % sang ! À mon sens, la lutte contre les différentes formes d’esclavagisme ne se morcelle pas, elle doit être globale et s’attacher à celles d’hier comme à celles d’aujourd’hui !
Charles SANNAT