La BCE avance d’un pas supplémentaire dans la voie des politiques monétaires dites non conventionnelles afin de lutter, ou plus précisément de faire semblant de lutter, contre les pressions déflationnistes en cours.
Il faut donc comprendre quelles sont les raisons de cette déflation. Une fois les causes posées alors on sera en mesure de comparer les causes aux solutions avancées par la BCE.
Les causes de la déflation en Europe, les 4 principaux facteurs
Le facteur euro, une monnaie unique qui est un véritable carcan
Comme je l’ai expliqué à de multiples reprises, avec l’euro aucun pays ne peut faire ce que l’on appelle une « dévaluation monétaire » pour retrouver de la compétitivité. Pour en retrouver, la seule solution est la dévaluation salariale, c’est-à-dire la baisse généralisée du niveau des salaires comme c’est le cas en Grèce (le pays le plus en avance si l’on peut dire), en Espagne, au Portugal, en Italie et même en France dans une moindre mesure pour l’instant (c’est plus un gel des salaires avec augmentation du chômage et une légère baisse du salaire réel en raison de la hausse des impôts et des prélèvements).
Lorsque les salaires baissent, il est évident qu’un phénomène déflationniste ne peut qu’avoir lieu. C’est une évidence économique.
Il faut donc comprendre que la seule solution pour éviter la déflation ce n’est pas fondamentalement de baisser les taux mais bien d’augmenter les salaires.
Le facteur de la mondialisation
Les causes profondes de ce phénomène ce sont évidemment l’euro et le carcan qu’il représente mais pas uniquement. Dans une économie mondialisée et sans barrière de protection afin de lutter contre les phénomènes de concurrence déloyale liés à des distorsions de salaires évidentes, nous ne pouvons arriver qu’à un ajustement généralisé vers le moins-disant salarial et social. C’est exactement ce qu’il se passe puisque nous nous refusons à imposer des droits de douane.
En se refusant à lutter contre les pays à bas coût de main-d’œuvre, nous nous tirons depuis bien longtemps une balle dans le pied au profit, dans un premier temps, des grandes multinationales qui sont les grandes gagnantes de la mondialisation en produisant pas cher… mais en nous vendant très cher ces quantités ahurissantes de produits importés. Résultat ? De moins en moins de travail en Occident donc de moins en moins de consommateurs solvables à terme. Mais dans un premier temps cela ne se voit pas. Mieux même : les marges augmentent jusqu’au jour où les grandes entreprises ne vendront plus ou beaucoup moins et ce moment est arrivé. On le voit déjà en Grèce, en Espagne ou en Italie. La déflation est prononcée en Europe du Sud. Au niveau européen, elle est masquée par une « moyenne » où l’on prend en compte aussi bien l’Allemagne que les pays de l’Est sans rien pondérer.
Cette politique de globalisation menée depuis la chute du mur de Berlin sous l’égide de l’OMC a eu pour conséquence la désindustrialisation massive et des pertes d’emploi très importantes dans les secteurs industriels. Ce phénomène se poursuit à l’heure actuelle et nous ne constatons pas de mouvement de « relocalisation » d’ampleur ou en tout cas ayant un impact macroéconomique.
Moins d’emplois c’est moins de salaires, donc moins de consommateurs solvables donc une pression déflationniste forte sur l’économie. C’est une réalité qu’elle plaise ou non.
Devenir des pays de « services » est une vaste « fumisterie » et nous verrons dans le paragraphe suivant pourquoi les services eux-aussi ne seront peu ou plus pourvoyeurs d’emplois de remplacement de notre industrie perdue.
Le facteur technologique
Non, chers lecteurs, ne me parlez pas des canuts qui avaient peur il y a deux siècles des progrès technologiques. Il y a deux siècles nous avions très peu d’usines et nous en étions aux débuts du processus de la « révolution industrielle » ! Cela est donc un argument aussi éculé qu’erroné.
Nous constatons sans ambiguïté possible une augmentation redoutable du chômage, c’est-à-dire de la raréfaction de l’emploi depuis… 40 ans !! Ce sont les années 70 qui ont marqué la rupture historique du passage entre deux modèles économiques.
Depuis la révolution industrielle,s notre économie était basée sur « la production de masse nécessitant une masse d’ouvriers, pour une masse de consommateurs solvables le tout basé sur une énergie abondante et peu coûteuse ».
Les années 70 nous ont fait glisser sur un modèle où la production de masse ne nécessite plus des masses d’ouvriers et où l’énergie n’est plus abondante et devenue coûteuse.
Depuis, là encore le phénomène s’amplifie. Les progrès de la robotique (et nous sommes à la veille de la révolution des humanoïdes de série), de l’informatique, des biotechnologies, etc., entraînent une augmentation phénoménale de la compétitivité liée avant tout à la suppression massive d’emploi devenu tout simplement inutile.
Donnons deux exemples. Aujourd’hui, les usines de voitures sont presque totalement automatisées. Cela tout le monde l’a compris. Mais rapidement, les banques et toutes leurs agences, ce qui occupe rien qu’en France 480 000 personnes, vont fermer pour migrer vers des solutions de banques en ligne avec, au bout, des gains faramineux de masses salariales pour les grand réseaux bancaires. Grâce aux progrès de l’informatique et d’Internet, il y aura de moins en moins de postes et de travail disponible. Résultat ? Une pression là encore très déflationniste puisque moins de travail ce sont des salaires qui ne peuvent pas monter et moins de consommateurs solvables et encore plus de chômeurs !
Le facteur démographique
Cette déflation majeure ne peut, en plus et c’est notre dernier grand facteur structurant, qu’être renforcée par des aspects démographiques eux-aussi déflationnistes.
Un simple coup d’œil à la pyramide des âges de la France en particulier et de l’Europe en général, mais c’est valable partout dans le monde (avec 30 ans d’avance pour le Japon sur le reste du monde), vous fera voir que la population vieillit considérablement. Or le vieillissement de la population c’est d’abord moins de consommation car nos seniors sont déjà « équipés », c’est un coût accru pour les dépenses de santé et les frais médicaux qui vont peser sur la croissance, c’est le financement de la dépendance et des maisons de retraites, c’est aussi le coût faramineux des pensions qui devient là aussi un prélèvement sur la richesse produite, c’est-à-dire sur le PIB.
Le coût du vieillissement de la population mondiale est phénoménal et profondément déflationniste. C’est également un facteur durable et structurel.
Les mesures annoncées par Mario Draghi vont-elles fonctionner ?
La réponse est évidemment non.
Non car ce que propose Mario Draghi n’aura aucun impact sur aucun des facteurs qui expliquent la déflation à laquelle nous sommes confrontés.
Mario Draghi et la BCE baissent de 0,10 % les taux directeurs et imposent des taux négatifs aux dépôts des banques commerciales auprès de la Banque centrale européenne. En clair, cela va coûter de l’argent aux banques que de déposer leurs fonds à la BCE. L’idée étant de les forcer à prêter. Hélas, on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif et les banques préfèrent financer les États en achetant la dette d’États en quasi-faillite, ce qui fait baisser les taux actuellement.
Enfin, Mario Draghi envisage un LTRO que l’on peut expliquer comme étant un futur « crédit easing » où la BCE donnerait plein d’argent gratuitement à toutes les banques qui accepteraient de prêter ces fonds aux entreprises. Hélas encore, dans une telle conjoncture, les entreprises n’investissent plus. En clair, soit les entreprises sont insolvables et aucun banquier n’ira prêter d’argent, soit elles ne veulent pas emprunter car elles ne veulent pas investir.
Les mesures de la BCE que je viens de vous décrire n’apportent aucune solution aux problèmes de l’euro, de la mondialisation, des progrès technologiques destructeurs d’emplois, et encore moins au problème du vieillissement de la population.
Logiquement on peut dire sans prendre trop de risque de se tromper que cette politique est donc vouée à l’échec. Pour régler un problème, il faut s’attaquer aux causes, tout le reste est du bavardage et Mario Draghi est un grand bavard, certes brillant, mais les mesures qu’il a annoncées sont à mi-chemin entre le bavardage et le coup d’éclat « marketing ». Au bout du compte, la situation économique européenne va poursuivre sa lente déliquescence.
Préparez-vous et restez à l’écoute.
Charles SANNAT
2 commentaires sur “« Pourquoi la politique de la BCE est vouée à l’échec ! »”
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