Notions préliminaires pour une bonne compréhension.
Les taux d’intérêt
Un prêteur concède de se priver momentanément d’un bien en échange d’une indemnité. La valeur de cette indemnité est en rapport avec celle du bien prêté (risque que la chose louée soit dégradée, détruite ou volée, ou encore le degré de privation que ressent le prêteur, … ) et détermine ce qu’on appelle le taux d’intérêt[1].
Les taux d’intérêts positifs nourrissent l’épargne : L’épargne représente les investissements de demain et les emplois d’après-demain. En l’absence d’épargne, ces deux éléments disparaissent de l’avenir d’une nation.
Dans le contexte des taux négatifs, l’épargne perd toute raison d’être, ce qui amène des conséquences terribles pour l’avenir économique d’un pays.
Monnaie papier = monnaie dette.
À une époque encore récente, nos billets de banque pouvaient être échangés à tout moment contre leur valeur en or physique aux guichets de la banque centrale du pays, sans frais. Cette obligation légale empêchait les banques centrales de faire n’importe quoi, comme créer des billets à tort et à travers. Chaque billet émis obligeait la banque centrale à détenir la quantité d’or correspondante dans ses coffres.
Aujourd’hui, un billet de 10 € est une reconnaissance de dette de 10 € que la Banque centrale européenne signe en faveur du détenteur du billet. Si quelqu’un vient au guichet de la BCE pour demander ce qu’il peut obtenir en restituant des reconnaissances de dettes libellées en euros (autrement dit, des billets de banque), on lui adressera un sourire gêné tout en lui indiquant la porte[2].
Que représente, pour la banque, le sacrifice de la privation d’une somme d’argent purement imaginaire ? Question un peu absurde, n’est-ce pas ! Elle est pourtant totalement d’actualité, puisque c’est en répondant à cette interrogation que les banquiers centraux déterminent le taux directeur qui est le taux d’intérêt de base, totalement arbitraire, que la banque centrale décide d’appliquer aux reconnaissances de dettes qu’elle émet. Cette monnaie ne reposant sur aucune contrepartie matérielle, rien n’interdit à la banque centrale de lui assigner un taux d’intérêt négatif, même si cela heurtera les gens ayant un peu de sens commun. Cette décision s’avèrera lourde de conséquences lorsque la monnaie-papier se confrontera au monde des réalités.
Pourquoi nous sommes passés aux taux négatifs ? Réponse : pour avoir de l’inflation sans l’inflation
L’inflation résulte d’une création monétaire excessive sans lien avec l’économie sous-jacente. L’inflation est l’effet d’une trop grande abondance d’argent qui ne correspond plus à la richesse à échanger. Elle a pour conséquence d’éroder le pouvoir d’achat de l’unité monétaire. Elle « rapetisse » l’argent. Les prix donnent l’impression d’augmenter alors qu’en fait ils ne bougent pas – c’est simplement la puissance de la monnaie dans laquelle ils sont exprimés qui diminue.
L’inflation est activement recherchée par les gouvernements puisqu’elle permet à la fois de diminuer le poids de la dette publique (exprimée dans une monnaie valant de moins en moins) et d’augmenter les impôts (les contribuables glissant dans des tranches de plus en plus « progressives » du barème d’imposition). Le mantra d’une « inflation à 2 % » ne correspond à aucune démonstration économique mais seulement à un compromis permettant aux politiciens d’atteindre leurs objectifs sans provoquer trop de grogne de la part d’une population dont les salaires font du sur-place.
L’inflation a toutefois le fâcheux défaut d’être incontrôlable. De nombreux pays l’apprirent à leurs dépens comme l’Allemagne de Weimar, le Zimbabwe ou l’Argentine. L’emballement de l’hyperinflation est effrayant, mais en Europe aujourd’hui il s’agit exactement du contraire. Malgré tous les efforts pour la déclencher depuis 2008, l’inflation ne vient pas. La faute à une économie moribonde et à des perspectives encore pires. Les gens se retiennent de dépenser et les entreprises d’investir. Le circuit économique, à l’arrêt, ne permet pas au surplus monétaire de circuler.
Comment obtenir les mêmes effets que l’inflation lorsqu’il n’y a pas d’inflation ? Par les taux d’intérêt négatifs !
Des taux d’intérêts négatifs représentent une taxe sur les comptes bancaires, ce qui fait que l’argent déposé perd de sa valeur si on ne le dépense pas. Même faiblement négatifs, ils s’appliquent souvent sur de gros montants et provoquent une addition douloureuse. La valeur détenue sur le compte s’étiole avec le temps, mais aussi la valeur des dettes contractées par l’État puisque les intérêts de la dette publique sont calqués sur le taux directeur du moment !
Un taux d’intérêt négatif permet donc théoriquement de :
– pousser les gens à consommer, dans le plus pur style de la relance keynésienne, puisqu’il vaut mieux brûler son argent en achetant n’importe quoi plutôt que de le laisser pourrir sur son compte ;
– diminuer la charge de la dette publique de l’État puisque l’entretien de cette dette est tout d’un coup beaucoup moins cher.
Les deux effets rappellent sensiblement les conséquences de l’inflation. De plus, à l’inverse de l’inflation, les taux d’intérêt (négatifs ou non) sont contrôlables : la Banque centrale peut décider quasiment n’importe quand de réviser sa politique de taux. Rien à voir avec le mauvais génie de l’inflation si difficile à faire retourner dans sa boîte.
Malheureusement pour nos brillants expérimentateurs économiques, la pratique risque d’être un peu moins sympathique que la théorie.
Le cerveau des acteurs économiques
Hélas, les taux d’intérêt négatifs ne poussent pas la majorité des gens à consommer ni à s’endetter de manière effrénée. Cependant, les épargnants privés et institutionnels voient leur capital s’évaporer puisqu’il perd de sa valeur en restant à la banque.
Les politiciens au pouvoir, bien qu’ils prétendent perpétuellement le contraire, travaillent essentiellement à court terme. Leur horizon se limite le plus souvent à l’échéance électorale suivante. Pour eux, l’embellie temporaire des comptes de l’État leur permet de plaider que le pays vit une embellie économique. Et donc, ils en profitent pour ralentir le rythme poussif des réformes, passent leur temps à s’attribuer les mérites de cette embellie. Pire, ils sont enclins à s’endetter encore plus puisque, clament-ils, les crédits n’ont jamais été aussi abordables.
Le retour du balancier
La plupart des gens n’ont pas un compte courant suffisant pour réellement souffrir des taux négatifs, mais ils ne se doutent pas qu’il suffit de peu de choses pour que la situation se détériore jusqu’à un point de non-retour.
Pour des raisons légales, de nombreuses organisations (comme les gestionnaires de fonds des assurances ou des caisses d’assurance-maladie) ont l’obligation de disposer de grandes réserves fiduciaires directement disponibles. Elles sont donc frappées de plein fouet par les pénalités dues aux taux négatifs – et donc indirectement, leurs clients.
La tentation sera donc grande de retirer ces énormes montants des comptes bancaires, par exemple pour les mettre dans un coffre comme argent liquide. La banque ne pourra plus disposer de cet argent dans ses réserves fractionnaires pour délivrer du crédit[3]. Si tous les clients (et en particulier les gros clients, ceux qui ont le plus d’argent en banque) retirent leurs avoirs sous forme d’argent liquide pour éviter les taux négatifs, les banques feront faillite immédiatement.
Ce comportement rationnel s’avérant fatal aux banques, les banquiers et les politiciens travaillent main dans la main pour l’empêcher. Nous assistons donc au développement d’une guerre contre le cash et d’un contrôle des capitaux de plus en plus marqué – et c’est assez tristement que l’on voit la Suisse aux avant-postes de cette nouvelle offensive contre la liberté économique, cherchant à empêcher chacun à disposer de son compte en banque comme il l’entend [4].
Le système financier s’effondrera-t-il ?
Éthique et priorités
Les taux négatifs ne sont pas intenables à proprement parler ; ils le sont seulement dans une économie ouverte. De fait, les dirigeants de la zone euro et de tous les pays à taux négatifs sont face à un dilemme : soit ils renoncent aux taux négatifs, soit ils renoncent à l’économie ouverte.
Comme on peut s’attendre au pire de la part de cette caste, toute une série de mesures seront prises pour mettre un terme à la liberté économique. Ces mesures seront de trois types :
- le contrôle des capitaux ;
- l’interdiction des paiements en cash (ou au moins leur plus sérieuse restriction) ;
- le contrôle de l’or et des placements non-monétaires.
Les points 1 et 2 serviront à éviter que quiconque échappe à la dépréciation planifiée des avoirs bancaires ; l’urgence de la crise justifiera le premier objectif, la lutte contre le terrorisme le second. Quant au troisième, il servira à empêcher la conversion locale du cash en une autre forme de monnaie à l’abri des taux négatifs et on se réjouit de découvrir l’excuse qu’auront concoctées les autorités.
Et il faudra bien sûr mater les rebelles.
Les taux négatifs représentent le dernier acte du drame de l’agonie d’un système économique artificiel comme la monnaie-papier – en quelque sorte, le miroir de l’hyperinflation, une autre forme d’explosion connue et spectaculaire. Reconnaissons tout de même que dans le cas présent, il n’y a pas de précédent historique ; l’effondrement d’un régime de monnaie-papier par le biais des taux négatifs implique un degré de contrôle sur la société civile qu’il était impossible d’atteindre à l’ère pré informatique.
Nous ne sommes qu’au début de l’époque des taux négatifs, mais à moins de faire marche arrière immédiatement, les dégâts qu’ils provoqueront marqueront notre génération.
Comme dirait un certain contrarien, « Préparez vous, il est déjà trop tard ! ».
[1] Les taux d’intérêt sont donc variables. Ils peuvent être élevés (dans les situations délicates) ou au contraire faibles (lorsque tout est « tranquille ») ; mais ils ne sauraient être négatifs puisque ça voudrait dire que le prêteur paye pour voir quelqu’un d’autre utiliser ses propres biens, ce qui est absurde (ou au moins masochiste) dans le monde réel.
[2] Notre monnaie n’est plus adossée à rien. Ce sont des dettes émises en contrepartie de rien. On peut les échanger entre nous, et rien n’empêche les banques émettrices d’en émettre quasiment à l’infini ; depuis quelques années, c’est exactement ce qu’elles font. Quand elles prêtent de la monnaie, elles ne se privent pas de ce qu’elles possèdent, il leur suffit d’imprimer du papier monnaie, voire encore plus simple, il leur suffit d’écrire un chiffre sur une ligne comptable et cet argent, qui ne repose sur aucune richesse, est créé dans l’instant. La monnaie-papier n’a de valeur que par la force de la loi qui nous en impose l’usage.
[3] Une banque peut prêter beaucoup plus d’argent qu’elle n’en détient réellement, grâce aux dépôts de ses clients épargnants. C’est légal mais limité. Une banque « saine » pourra prêter environ 10 fois plus que ses réserves, considérant que ses clients ne viendront pas tous le même jour retirer leur épargne. Certaines banques aujourd’hui prêtent jusqu’à 50 fois le montant de leurs réserves. Tout va bien tant que les épargnants laissent leur argent sur leurs comptes. Le jour où, en grand nombre, ils souhaitent le retirer, la banque se retrouve « asséchée » de ses réserves fractionnaires et elle fait faillite immédiatement car elle ne dispose plus de l’argent qu’elle doit à ses clients épargnants.
[4] Le mouvement a déjà commencé et prendra de l’ampleur, les capitaux migrant naturellement vers des lieux où les taux sont plus favorables. Pour ceux qui restent sur place, il y a encore la possibilité de convertir son argent en métal précieux ; l’or est souvent décrié comme étant quelque chose d’inerte voire inutile – « l’or ne se mange pas » nous assène-t-on – mais cette inertie devient une qualité extrêmement recherchée lorsque le simple fait de posséder du cash en billets de banque amène votre fortune à s’étioler. Bien sûr, toutes ces manœuvres de la clientèle assècheront progressivement les banques en les poussant à la faillite.
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