Mes chères contrariées, mes chers contrariens !
J’entends déjà les plus libéraux de mes lecteurs s’étouffer devant un tel titre. C’est vrai après tout. Dénoncer la précarité, la pauvreté et la misère, c’est forcément parce qu’il y a en nous un mauvais fond marxiste.
Pourtant, quel est le sens de la « science » économique ? Quel est l’objectif de l’économie ? Quel est le but de la croissance ? Quelle est la finalité du développement économique ?
Si la réponse à ces questions est juste de rendre de plus en plus riche une minorité de plus en plus réduite, alors cela n’a pas grand sens. Si la réponse à ces questions est l’optimisation et la meilleure allocation des ressources pour le maximum d’efficience, c’est déjà mieux.
Mais l’efficience en économie, c’est quoi ? L’efficacité économique, c’est quoi ?
Une économie efficace est une économie capable d’assurer une juste redistribution des richesses entre l’ensemble des acteurs afin de favoriser un fonctionnement le plus linéaire possible, sans à-coup, sans qu’il y ait d’exclusions trop flagrantes.
Les défauts de conception de nos systèmes
La vision des choses en économie est, hélas, assez binaire et ne laisse pas, à mon sens, assez place à la finesse des nuances.
Soit vous êtes marxiste, soit vous êtes libéral. Point de salut si vous ne choisissez pas votre chapelle. On doit pouvoir vous classer, on doit pouvoir vous opposer. Vous devez adhérer à un camp !
Pourtant, je fais partie de ceux qui pensent que cette vision manichéenne nous enferme et nous condamne.
Je pense que le défaut intrinsèque du communisme est que l’intérêt collectif n’est pas égal à la somme des intérêts individuels puisque, par définition, l’intérêt individuel est supprimé, ce qui est d’une stupidité totale. Sans incitation, sans récompense, point d’effort. Cela, tout le monde ou presque, peut le comprendre et comprendra que, dans ce sens-là, évidemment, il m’est impossible d’être marxiste dans la mesure où tout système économique dit marxiste est voué à l’échec de par sa conception même.
Pour le libéralisme, c’est le problème inverse. La somme des intérêts individuels et particuliers n’est pas forcément égale à l’intérêt collectif. Or c’est pourtant cette croyance qui sous-tend toute l’idéologie libérale. On « croit » que la somme des intérêts individuels ne peut être que positive et bienfaisante pour l’intérêt collectif. Or c’est faux. Totalement illusoire. C’est tellement faux, c’est d’ailleurs tellement illusoire que toute personne non idéologue et un tout petit peu censée se rend compte que le capitalisme, dans sa version libérale, finit systématiquement par produire des crises d’une telle violence que finalement le système lui-même s’effondre. C’était le cas en 1929, mais c’est également le cas depuis la crise de 2007.
Le système libéral est, par nature, instable. Il est par nature voué à l’échec de la même manière que tout système marxiste et ne doit sa sauvegarde à chaque crise historique qu’à l’interventionnisme des États qui viennent au secours du système.
Les étapes de la vie d’un système libéral sont toujours identiques. Aucune régulation, le moins de loi possible, le moins d’entraves imaginables. Résultat ? Des profits, dans un premier temps, de plus en plus importants. Une paupérisation qui se développe au fur et à mesure que la richesse s’accumule dans des mains de moins en moins nombreuses. L’argent circule moins. Les profits diminuent. On comble tout cela par de l’endettement pour masquer le phénomène, puis on se rend compte que plus personne ne peut rembourser ses dettes. Les banques s’effondrent en 1929 comme en 2009, puis cela se propage à tout le reste de l’économie. Les États interviennent, avant à leur tour de s’effondrer sous le poids des dettes. Le système finit alors par être réinitialisé.
Tout cela est très logique. En tant qu’entreprise, j’ai intérêt individuellement à réduire mes coûts de production pour être le plus compétitif possible et améliorer mes marges, renforcer mes profits. C’est ma raison d’être en tant qu’entreprise. Personne ne le niera. Résultat ? Je vais chercher à remplacer le maximum de mes ouvriers par des machines, ou encore je vais délocaliser ma production dans des pays low cost.
Logiquement, il y aura, ici en France ou aux États-Unis, de plus en plus de chômeurs qui vont peser sur les salaires. Pourquoi augmenter le salaire d’un employé lorsqu’il y a 6 millions de personnes qui n’attendent ne serait-ce qu’un petit boulot ?
L’enchaînement se poursuit inévitablement avec une raréfaction importante du nombre de consommateurs solvables.
L’idée ici c’est de démontrer que les entreprises, en cherchant toutes simultanément à répondre à leur intérêt individuel, détruisent collectivement tellement d’emplois qu’elles finissent par supprimer elles-mêmes les consommateurs solvables dont elles ont pourtant besoin pour augmenter leurs profits.
C’est là le défaut intrinsèque, majeur, de la doxa libérale. Elle semble fonctionner beaucoup mieux (ce qui est vrai) jusqu’au moment de son effondrement (inéluctable et systématique dans l’histoire).
Henri Ford, en 1929, augmentait déjà ses ouvriers pour qu’ils puissent acheter les voitures qu’ils construisaient. Ce constat est une évidence. Et pourtant, nous allons à nouveau vers la destruction et l’effondrement d’un système libéral devenu fou.
Austérité : 25 millions d’Européens menacés de pauvreté
C’est une dépêche de l’AFP qui nous explique que « jusqu’à 25 millions d’Européens risquent de basculer dans la pauvreté d’ici à 2025 si leurs dirigeants maintiennent le cap de l’austérité, a mis en garde Oxfam jeudi, à la veille d’une réunion des ministres des Finances de l’UE ».
Pour l’ONG, « le modèle européen est désormais directement remis en question par des politiques d’austérité mal conçues ».
« En 2011 au sein de l’UE, 120 millions de personnes vivaient dans la pauvreté et ce nombre pourrait augmenter de 15 à 25 millions si les mesures d’austérité se poursuivent, portant à plus du quart de la population les personnes menacées par la pauvreté, y compris si elles ont un emploi, estime l’ONG. »
Qui accuser ?
Alors nous pouvons accuser les politiques gouvernementales.
Nous pouvons accuser les banquiers.
Nous pouvons accuser les entreprises.
Nous pouvons accuser le règne de l’argent roi.
Nous pouvons accuser la finance folle ou dérégulée.
Mais en réalité, nous ne voyons se dérouler sous nos yeux que quelque chose d’éminemment évident, de totalement prévisible.
Nous faisons mine d’être surpris, mais il n’y a aucune surprise à avoir.
À intervalle régulier, le système libéral s’effondre, entraînant avec lui un avenir de pauvreté, de misère et de précarité pour une immense majorité des peuples. L’ironie du sort c’est que les dernières grandes crises du libéralisme ont créé le communisme et que le système actuel, depuis la mort de son principal contre-pouvoir marxiste, se rapproche chaque jour un peu plus de sa ruine. Sans les dégâts humains, je trouverais cela d’une élégance intellectuelle exquise.
Alors qui accuser ? Qui blâmer ? Nous tous, collectivement, sommes responsables de la chronique de cette catastrophe annoncée car, enfermés dans notre individualisme, nous oublions tous autant que nous sommes que la somme de nos intérêts individuels n’est pas systématiquement égale à notre intérêt commun. La clef intellectuelle, la solution à nos maux est donc la limitation de l’intérêt individuel sans pour autant tomber dans la collectivisation et le marxisme. Cette autre voie peut s’appuyer sur deux concepts. La régulation et les contre-pouvoirs.
À demain… si vous le voulez-bien !!
Charles SANNAT